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voulaient garder la richesse, le pouvoir, les charges et la supériorité du rang, contre ceux qui ne les avaient pas et qui les voulaient conquérir. Quel est le peuple au monde, quel est le siècle qui n’a pas connu ce combat des ambitions qui montent et de celles qui sont parvenues? C’est la vie politique; le secret pour les états est de leur faire leur place et de régler leurs excès. Nulle part jusqu’ici cette condition n’a été mieux remplie qu’en Angleterre. Ce pays a eu les tories, qui étaient ses gibelins, et les whigs, qui étaient ses guelfes. Nous verrons tout à l’heure comment il en a usé bien autrement que les Florentins; ne regardons en ce moment que les similitudes.

Les gibelins étaient donc des tories, les plus anciens nobles de la commune. A l’origine, ils habitaient le comté, il contado, c’est-à-dire la campagne, où régnait et florissait surtout la féodalité; c’étaient des châtelains, propriétaires fonciers, vivant du revenu de leurs terres ou des taxes prélevées sur les faibles et sur les petits; ils étaient généralement hommes de guerre. Peu à peu, grâce aux défaillances successives du pouvoir impérial, et surtout durant la querelle des investitures, ils furent contraints de traiter avec les villes qui se répandaient à leur tour sur les campagnes et assiégeaient les châteaux. Ils vinrent habiter les villes, les uns volontairement, les autres par contrainte et subissant le droit de cité comme une condition de leur défaite. Florence se grossit ainsi de la descendance des barons et des conquérans germains. Tel fut le premier noyau d’une aristocratie composée de guerriers possédant des fiefs et des terres, acceptant par nécessité le présent, c’est-à-dire une sorte d’égalité politique avec des citadins, sous le regard d’une commune défiante et jalouse. Cette aristocratie profitait de ses richesses et de ses loisirs pour dominer l’état, elle espérait tout de l’empire, qui, malgré ses fréquentes éclipses, était dans les idées du temps la source de tout pouvoir légitime; elle combattait enfin le parti du pape, parce qu’il était contraire à celui de l’empereur. A partir du commencement du XIIIe siècle, ils prirent le nom allemand de gibelins ou partisans de la famille impériale des seigneurs de Wiblingen. Être gibelin, aux yeux du reste de la commune, signifiait être ennemi du peuple et des libertés populaires, vouloir ramener Florence au despotisme féodal, avoir des intelligences avec l’étranger, des liens avec des princes ou des tyrans, en un mot avoir des vues, des idées, des tendances rétrogrades. On voit que le torysme primitif, le haut torysme, comme disent nos voisins, n’avait pas d’autre sens pour les Anglais d’il y a deux cents ans.

Toutes les familles nobles de Florence n’étaient pas gibelines,