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l’idéal d’un gentilhomme. La patrie, la chasse, la chevalerie, furent le thème continu de son inspiration. C’était par sa naissance un hobereau, un féodal, et cependant de musicien plus populaire il n’y en eut jamais. Agitateur et doctrinaire à la fois, il sut confondre ses tendances avec celles du moment, qu’il devinait et fécondait d’un effort génial et créateur. Le doctrinaire de quinze ans qui cherchait à découvrir pour ses modulations un système nouveau d’harmonie, le jeune agitateur qui s’entendait avec des amis pour fonder une gazette militante, fut le même homme qui plus tard s’empara d’une main si ferme du mouvement national des guerres de l’indépendance, et prit en quelque sorte le génie même de son pays pour collaborateur dans le plus célèbre de ses opéras.

La musique de Weber est une musique de race. Ses mélodies, ses harmonies, ses rhythmes ont de la fierté, de la noblesse, et ce bel air, cette vaillantise, se manifestent dans le mouvement que le maître affectionne, mouvement hardi, superbe, impétueux : allegro con fuoco. Tout compositeur a son mouvement de prédilection, comme il a un ton qu’il adopte et ramène avec délices. Voyez dans la Flûte enchantée la belle âme de Mozart, calme, rassérénée à jamais, s’épanouir dans la lumière d’ut majeur. « Le paradis doit être en ut majeur, » disait à Rossini M. Auber après avoir entendu le chef-d’œuvre. Pour Weber, le mouvement qui par excellence le caractérise, c’est l’allégro fulgurant, passionné. Ses ouvertures doivent à la chaleur de ce coloris l’irrésistible effet qu’elles produisent. Même dans les accompagnemens, vous sentez quelque chose de cette flamme dont l’ardeur volcanique, sous l’adagio, va se trahissant ; le pouls de Weber bat l’allegro. Gluck a de cette fougue de tempérament, de cette noblesse de cœur et de génie ; mais les mœurs du temps, l’habit à la française, la perruque et la tragédie gênent sa démarche ; sa grandeur l’attache au rivage : il ne dit encore que allegro maestoso, ce qui n’empêche pas la superbe Armide d’être en chevalerie une sœur aînée d’Euryanthe. La musique de Weber a des manières distinguées ; ses moindres morceaux pour le piano, ses moindres sonatines à l’usage des commençans affectent un air, une allure fort au-dessus de l’ordinaire. Cela rompt carrément en visière au ton bourgeois de l’école viennoise démodée, mais par contre ouvre une voie dangereuse à la virtuosité, au brillantisme, à ces mille niaiseries d’une exécution à outrance, dont le vide devait finir par nous envahir. Et voilà comment tous les fils de la musique du présent se trouvent réunis entre les mains de ce diable d’homme. On peut discuter les points critiques sans [que sa personnalité y perde rien ; au contraire, en valeur historique elle y gagne.

Le Freischütz a engendré Marschner et combien d’autres ! D’Eu-