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pas plus que la cigale, ne touche ni aux vermisseaux ni aux grains de blé; elle vit de feuilles. On nous dira que La Fontaine le savait peut-être, mais que l’inspiration poétique et la rime ont des droits qu’il ne nous appartient pas de discuter.

Le monde des insectes est peut-être ce qu’il y a de plus curieux dans tout le règne animal à cause des contrastes que l’on y rencontre entre la taille et le poids d’une part — et la force et l’intelligence ou, si l’on aime mieux, l’instinct de l’autre. Sous ce rapport, l’ordre des hyménoptères ou insectes à ailes membraneuses, qui renferme les abeilles et les fourrais, l’emporte sur tous les autres, comme les lépidoptères ou papillons l’emportent au point de vue de la beauté des formes et des couleurs. D’un côté la suprême élégance, de l’autre le travail, l’industrie, voire l’art, et une organisation civile et militaire. Tout le monde connaît la constitution générale des monarchies d’abeilles; on sait que chaque ruche a une reine dont la principale occupation consiste à pondre, que les ouvrières, femelles avortées, récoltent ou plutôt fabriquent le miel et la cire, bâtissent les cellules, élèvent le couvain et défendent la cité, — enfin que les mâles, les faux-bourdons, ne font rien, et sont impitoyablement massacrés comme des bouches inutiles, dès que la reine a été fécondée. Ce qui est moins connu, même des apiculteurs, ce sont certains détails de mœurs fort curieux que l’on doit à Réaumur et à François Huber, le célèbre observateur aveugle qui se servait, pour étudier les abeilles, des yeux de son domestique. M. Figuier les rapporte longuement dans son livre sur les Insectes. Nous en citerons au moins quelques-uns. Les larves d’abeilles destinées à la royauté sont logées dans des cellules beaucoup plus spacieuses que celles qui reçoivent les larves d’ouvrières, et nourries avec la gelée royale, substance plus épaisse, plus sucrée ou épicée que la bouillie que les ouvrières nourrices offrent aux larves communes. Cette panacée exerce une influence stimulante si énergique sur le développement des ovaires, que de simples ouvrières qui en ont reçu accidentellement quelques bribes pendant qu’elles étaient encore à l’état de larves deviennent presque femelles, et pondent quelques œufs imparfaits. Les abeilles connaissent bien cette vertu prolifique de la gelée royale, et en tirent parti lorsqu’il s’agit de remplacer une reine morte par accident. Sans perdre de temps, elles agrandissent la cellule d’une larve ordinaire, âgée de moins de trois jours, en démolissant des alvéoles tout autour, et se mettent à administrer à ce ver, espoir de la patrie, de fortes doses de la miraculeuse gelée. Pendant douze jours, une abeille spécialement affectée au service de la nouvelle infante lui offre à manger et surveille son repas. Quand le moment de la métamorphose en nymphe est venu, on ferme l’orifice de la cellule et on attend l’éclosion de la nouvelle reine, qui est en état de prendre son vol en sortant du berceau. Si à ce moment il y a encore d’autres prétendantes dans les cellules, ce qui est le cas ordinaire, la jeune reine cherche à les détruire; mais les