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encore arrivée à son terme. Cette fécondité vraiment extraordinaire de M. Figuier, qu’on pourrait appeler l’Alexandre Dumas ou le vicomte Ponson du Terrail de la science, ne laisse point cependant d’inspirer quelques craintes sur la qualité de ses produits littéraires. Après avoir écrit la vie des savans de l’antiquité et du moyen âge, M. Figuier doit savoir que, dans ces temps reculés, il était possible de posséder des connaissances universelles parce que le domaine des sciences était alors bien restreint; mais, pour se mettre aujourd’hui au courant de la moindre branche d’une science quelconque, il faut beaucoup de temps et beaucoup d’application, à supposer même qu’on possède les dispositions naturelles, et notamment une certaine facilité de compréhension. Ars longa, vita brevis. Une année est bien peu pour écrire quatre volumes, sans compter le courant de tous les jours, sur des sujets généralement réputés assez ardus. Les Vies des savans ne s’en ressentent que trop. Je ne saurais mieux dire l’effet que produit la lecture de ces biographies qu’en le comparant à l’impression qu’éveillerait en nous la vue d’un édifice construit non pas avec des pierres à bâtir, mais avec des pans de murs provenant de diverses démolitions, et montrant encore des lambeaux du papier et des dorures qui les recouvraient autrefois.

Une des conséquences de ce procédé de composition expéditif, c’est qu’on se heurte à chaque pas contre des détails qui seraient à leur place dans un ouvrage de critique historique, mais qui contribuent médiocrement à rehausser l’intérêt d’un livre populaire. Que nous veut cette érudition à bon marché? M. Figuier prétend écrire pour la jeunesse. Il va jusqu’à réclamer la succession de Perrault et de Lafontaine. « Je vais, dit-il dans la préface de la Terre avant le déluge, soutenir une thèse étrange. » Étrange en effet! « Je vais prétendre que le premier livre à mettre entre les mains de l’enfance doit se rapporter à l’histoire naturelle, et qu’au lieu d’appeler l’attention admirative des jeunes esprits sur les fables de Lafontaine, les aventures du Chat botté, l’histoire de Peau d’âne ou les amours de Vénus, il faut la diriger sur les spectacles naïfs et simples de la nature : la structure d’un arbre, la composition d’une fleur, les organes des animaux, l’arrangement intérieur des couches composant la terre, etc. » C’est aux contes de fées et à la mythologie que M. Figuier attribue le mal de notre société. Ah! si on commençait l’éducation des enfans par la lecture de la Vie des Savans ou des Zoophytes et Mollusques, nous verrions une génération plus forte remplacer cette société abâtardie qui a été nourrie du dangereux aliment de a fiction. En présence d’assertions si singulières, on peut regretter que Töpffer ne les ait pas connues lorsqu’il composa cette charmante bouffonnerie qui s’appelle l’histoire de l’éducation des onze fils de M. Crépin. Gardons nos fées pour faire le bonheur des enfans et réservons la science vulgarisée pour ceux qui sont d’âge à la goûter; surtout n’ayons pas la prétention de croire que la science c’est la vérité, et la fiction le mensonge.