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chant la tête. Soudain la sève se développe, on voit pousser un rameau vigoureux : c’en est fait, l’arbrisseau deviendra chêne. De même les impatiens désespéraient déjà de la Grèce; ils disaient qu’un état naissant doit croître rapidement ou périr. Les Anglais l’ont répété plus haut que les autres, et c’est d’eux que vient la première impulsion qui double la vitalité de la Grèce et lui ouvre l’avenir. Bossuet aurait reconnu là le doigt de la Providence.

L’exemple de l’Angleterre entraînerait peut-être nos hommes d’état, s’ils ne faisaient que se défier des Grecs; mais ils leur reprochent nettement de n’offrir aucune garantie à la politique européenne, et ils articulent contre eux deux griefs : le premier, c’est qu’ils sont dévoués à la Russie, qu’ils professent la même religion et qu’ils seront toujours ses alliés; le second, c’est qu’ils n’ont ni finances, ni ordre, ni esprit d’unité, et ne sauront jamais constituer un gouvernement.

Ces objections ont une telle gravité que, si elles étaient fondées, j’abandonnerais moi-même la cause des Grecs; mais elles ne sont que spécieuses, elles doivent leur crédit aux déclamations des touristes ou aux anecdotes des diplomates. J’ai passé quatre années en Orient : j’ai parcouru la Grèce au pas de mon cheval, la Grèce libre aussi bien que la Grèce asservie; je parlais la langue moderne, et chaque soir, à prix d’argent, j’étais l’hôte d’un pâtre, d’un vigneron, d’un marin, d’un prêtre à la longue barbe. J’ai donc pu observer les Grecs : je n’ai point d’illusions sur eux, je n’ai point contre eux de satires. Je crois assez à leur avenir pour ne leur pas ménager la vérité; je connais assez leurs défauts pour les défendre sans aveuglement.

Or ce sont ces défauts mêmes qui me rassurent contre tout entraînement qui les asservirait à la Russie. En politique, il est plus sûr de se fier aux défauts et au tempérament d’un peuple, qui sont permanens, qu’à ses bonnes intentions, qui sont éphémères. Les Grecs aiment les Russes, dites-vous? Les Grecs n’aiment qu’eux-mêmes, et leur patriotisme est aussi exclusif qu’il l’était dans l’antiquité. Le monde leur paraît graviter autour d’eux; ils croient naïvement qu’ils sont l’objet de l’attention universelle; il n’éclate pas en Europe une guerre ou une révolution qu’ils ne se demandent ce qu’on veut faire ou souffrir pour eux. Comme l’intérêt est la règle de leurs actions, ils se gardent également de la reconnaissance, qui est une gêne, et de la haine, qui est une maladresse; car l’ami qui les sert peut devenir inutile, et l’ennemi d’aujourd’hui peut demain les servir à son tour.

Tant que la Russie excitera leur passion de s’agrandir et menacera les Turcs, les Grecs aimeront la Russie. Dès qu’ils n’auront