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plus rien à attendre d’elle, ils cesseront de l’aimer, et dès qu’ils seront ses voisins, ils la craindront : or celui qu’ils craignent, voilà leur ennemi. Les peuples occidentaux essaient de fortifier par des théories leurs alliances, que cependant l’intérêt seul cimente ou détruit. Les races orientales, qui ne professent ni fidélité ni rancune, abandonnent sans scrupule ceux qui leur ont servi d’instrumens et ne croient même pas trahir. Les Grecs sont trop fins pour ne pas pénétrer le jeu de la Russie : ils prévoient le point où elle les arrêtera en jetant le masque; mais ils entreront dans son jeu aussi longtemps qu’il y aura des Turcs à refouler : dès qu’ils se trouveront à leur tour en face de la Russie, ils tendront les bras à l’Europe.

Si. les grandes puissances témoignaient aux Grecs moins de dédain, si elles les protégeaient avec moins de malveillance, si elles n’avaient pas une politique vacillante qui tantôt les affranchit, tantôt les comprime, l’influence de la Russie serait vite affaiblie. Elle ne peut que flatter, mais elle flatte avec constance; nous, nous apportons des bienfaits réels, mais par caprice et presque avec insulte. Marquons aux Grecs, par une politique nette, le but où nous les conduisons, promettons-leur des affranchissemens successifs à mesure qu’ils en deviendront dignes, commandons-leur la patience en nous montrant nous-mêmes plus patiens, avouons-leur qu’ils seront un jour à Constantinople notre boulevard avancé contre la Russie : tous les esprits changeront aussitôt, parce qu’ils comprendront que leur cause est unie étroitement à celle de l’Europe.

Il y a peu d’années, les Anglais étaient détestés en Grèce parce qu’ils s’y faisaient redouter : donner à un étranger le nom d’Anglais, c’était presque l’outrager; mais quand l’Angleterre promit de céder les îles ioniennes, l’enthousiasme fut tel que, si elle eût consenti à céder aussi un de ses princes, le suffrage universel l’eût consacré par l’unanimité. Elle aurait alors proposé aux Grecs une croisade contre la Russie qu’ils se seraient croisés, de même qu’on les eût conduits au siège de Sébastopol, si on leur eût promis en récompense la cession de la Crète ou de la Thessalie. En politique, les sentimens se règlent sur les intérêts. Les Turcs sont aujourd’hui les seuls ennemis de la Grèce; les Turcs partis, ce seront les Russes.

La communauté de religion est un lien, j’en conviens, mais un lien peu solide : les questions religieuses ont mis les peuples aux prises plus souvent qu’elles ne les ont rapprochés. Les guelfes et les gibelins avaient la même foi; la France très chrétienne et l’Espagne très catholique se sont combattues avec un acharnement rare. Le peuple grec est très pieux : il voit dans les Russes des co-