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religionnaires ; mais les haines entre frères sont les plus vigoureuses. Les moines grecs sont pauvres et ignorans, ils acceptent avec reconnaissance les tableaux ou les ciboires que leur envoie le tsar; mais la reine d’Angleterre et l’empereur de Russie font aussi des présens au pape sans engager en rien sa politique. L’église grecque se relèvera un jour; les couvens seront plus riches, les évêques plus puissans, dès qu’ils n’auront plus à se défendre contre la tyrannie des Turcs. Quand le clergé se sera constitué, il aura de l’ambition; le patriarche de Constantinople se croira le chef de l’église d’Orient, et considérera bientôt le tsar comme un sacrilège qui s’arroge le pouvoir spirituel. La querelle avec l’église russe sera violente, la séparation irrémédiable, et c’est peut-être dans cette hostilité des consciences que l’Europe trouvera ses plus sûres garanties.

La seconde objection contre les Grecs paraît plus sérieuse : ce sont les fautes qu’ils ont commises dans le petit royaume qu’on leur avait taillé. Ces fautes étaient inévitables après quatre siècles de ténèbres et d’esclavage, il est même juste d’en rejeter une partie sur la diplomatie européenne, qui a imposé à un petit état de huit cent mille âmes toutes les charges d’un grand pays, qui, lorsqu’il fallait un génie créateur ou du moins une main ferme, lui a envoyé des Bavarois pour régens et un enfant pour roi, qui depuis s’est appliquée à semer parmi les Grecs la division et l’esprit d’intrigue afin de constituer un parti russe, un parti anglais, un parti français. D’autres auraient succombé à tant de dangers ou à leurs propres folies; mais la vitalité de ce peuple est telle qu’il grandit au milieu de l’orage. Tout le sert : il a perdu trente années, dit-on, au lieu de se créer une administration[1], des finances, des routes, des chemins de fer; mais pendant ces trente années il s’est fortifié au milieu des luttes, sa force d’expansion se révèle tout à coup, de l’enfance il passe à l’adolescence, et c’est vers lui que se tournent l’espoir de dix millions d’opprimés.

La force de la destinée explique certains faits : elle ne suffit pas pour expliquer cette fortune subite. La race grecque a des vices; elle est loin d’avoir acquis ce sens moral qui manquait presque toujours à ses ancêtres, et qui est plus développé dans les sociétés mo-

  1. Il ne faut pas oublier cependant que depuis 1831 les Grecs ont rebâti 23 villes anciennes, fondé 10 villes nouvelles, parmi lesquelles il faut citer le Pirée, Patras et Syra, relevé 1,600 villages brûlés par les Turcs, porté les recettes des douanes de 3,400,000 drachmes à 0,000,000, construit 5,000 navires et caïques, établi 31 compagnies d’assurances maritimes, et tellement développé leur marine marchande, que le nombre des matelots est de 23,000 : la France, trente-sept fois plus peuplée, en compte un peu plus du double.