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embrasse non pas seulement les dialectes vivans, mais encore ceux qui ont disparu et dont il nous reste quelque débris, que dans ces idiomes polis ou barbares un nombre incalculable de mots a été analysé, que ces analyses ont été rapprochées les unes des autres, et qu’à peu d’exceptions près la classification naturelle des langues est aujourd’hui terminée. Il est possible au moment où nous sommes d’envisager ce vaste tableau dans son ensemble et dans ses parties, de suivre pas à pas la formation du langage depuis ses premiers bégaiemens jusqu’à nos jours. Dans cette œuvre immense de notre siècle, les premiers pas ont été faits par l’Angleterre; la France a fourni un ou deux hommes supérieurs, l’Allemagne, — et surtout la Prusse, — a fait presque tout le reste. M. Müller est lui-même un Allemand qui vint en France il y a longtemps déjà, que la France ne sut pas retenir, et auquel l’Angleterre a donné à la fois la parole et la plus généreuse hospitalité. Je ne puis voir sans tristesse combien notre pays fait peu de chose pour une science dont on sentira dans un instant la valeur, pour une étude qui devrait tenir la première place dans notre enseignement supérieur, auquel elle rendrait la vie, et qui semble au contraire en être bannie pour jamais. En cela aussi, sommes-nous donc, comme quelques-uns le prétendent, le premier des peuples du passé?


II.

Après les deux ou trois mille années d’élaboration dont nous avons indiqué les principales époques, l’étude du langage est enfin passée à l’état de science. Au point où elle est parvenue, c’est une science inductive au même titre que la physique et la physiologie, et elle rentre comme ces dernières dans la classe nombreuse des sciences d’observation. Elle n’est plus simplement la grammaire, c’est-à-dire, comme on nous l’enseignait dans notre enfance, l’art de parler et d’écrire correctement; c’est une étude théorique. Entre elle et la grammaire, il y a autant de différence qu’entre la médecine, qui guérit, et la physiologie, qui étudie les lois de la vie dans les corps vivans. J’insiste, afin qu’il n’y ait point d’illusion à cet égard. Il y a des personnes qui s’imaginent que la philologie comparée, comprenant dans son domaine un grand nombre de langues, doit donner un moyen prompt et facile de les apprendre toutes. Il n’en est rien : la chimie donne-t-elle la connaissance immédiate d’un corps nouveau qui se présente ? Non; mais elle offre les moyens de l’analyser avec certitude, d’en reconnaître les élémens, de le classer dans une certaine catégorie et souvent de le reproduire à volonté. On peut ensuite tirer de ces connaissances théoriques, dont l’acquisition exige toujours du travail, des procédés économi-