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ordre qui varie selon l’idée que l’on veut exprimer. Du reste le nombre de ces racines qui n’ont que deux ou trois lettres est très petit et ne dépasse guère quatre cent cinquante; seulement, comme les langues de l’extrême Asie sont chantantes, la variété de l’intonation change la signification de ces racines et en porte en réalité le nombre à plus de douze cents. Avec ces douze cents mots primitifs, les Chinois ont formé des groupes que l’on ne saurait appeler des mots composés, et dont le nombre s’élève à près de cinquante mille. Il est évident que dans une telle langue le nombre des mots est réellement illimité, puisque l’on peut toujours ajouter à un groupe un élément de plus qui en change la valeur, et même créer des groupes entièrement nouveaux; mais, quel que soit ce mot, il n’a par le fait aucune forme grammaticale, et l’esprit en aperçoit de prime abord tous les élémens sans qu’il soit besoin d’aucun effort d’analyse pour les séparer.

Ces trois grands faits une fois acquis, un jour immense va en rejaillir sur l’histoire des langues et nous conduire à la découverte de la loi qui en règle la formation. L’analyse qui nous a permis d’établir les généalogies des divers idiomes nous a montré dans le plus compliqué l’élément flexible se modifiant avec le temps au point de devenir méconnaissable; puis elle nous a fait voir qu’en remontant d’anneau en anneau la chaîne des langues dérivées les unes des autres, on retrouve ces formes de plus en plus complètes et de plus en plus séparables. Ainsi dans mais il est impossible de séparer la racine de la flexion; mais cette séparation peut avoir lieu dans le latin magis, d’où le français mais a été tiré, et l’on distingue déjà clairement la racine mag, qui est dans magnus, et la flexion is. Entre le latin et le turc, la différence est beaucoup moins grande qu’entre cette dernière langue et le français. Le sanscrit, qui n’est peut-être pas plus ancien que le latin, mais qui s’est moins altéré que lui, laisse apercevoir beaucoup mieux encore ses élémens, car d’un côté chacun d’eux s’y trouve dans un état plus complet, et de l’autre, comme les lois euphoniques de cette langue sont parfaitement définies, il est souvent possible de rendre à un élément transformé sa forme pure et originale. Or dans cette langue on ne tarde pas à reconnaître deux faits importans. Les élémens formels des mots ont tous été primitivement monosyllabiques aussi bien que les racines, et on peut, dans un grand nombre, apercevoir clairement d’anciennes racines dont plusieurs sont encore employées dans le discours. Ainsi, dans la conjugaison des verbes, l’analyse, en séparant les terminaisons des personnes (mi, si, ti, mas, etc.), découvre en elles les pronoms personnels. Il résulte de ces deux faits, dont l’analyse nous montre de plus en plus la généralité, que les langues à flexions ont été primitivement des langues monosyl-