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vahissent ! » Voici l’idée-mère de l’opéra qui se fait jour; par elle commence l’allegro, vient après l’infernale péroraison de la scène des balles, et ainsi de suite jusqu’à l’explosion de joie et de lumière qui couronne l’œuvre en rappelant les gloires des tableaux italiens.

— Bravo! s’écria Weber de l’accent le plus amical; n’oublions pas toutefois les accessoires, et quand nous avons trouvé la couleur d’un ouvrage, veillons à ce que les décors et la mise en scène soient bien dans le ton. La pièce du Freischütz m’offrait en ceci une circonstance des plus favorables. La moitié de l’opéra se joue dans l’obscurité. Le premier acte commence avec le soir, et à mesure qu’il avance, la nuit tombe. Au second, pendant la grande scène d’Agathe, clair de lune; la fantasmagorie de la Wolfsschlucht se joue entre onze heures et minuit. Évidemment cet appareil prêtait beaucoup; la nuit du dehors répondait au caractère sombre et nocturne de ma musique. Joué en habit noir, en plein jour, dans un salon, le Freischütz eût passé inaperçu; rien n’eût transpiré de ce que j’ai mis là d’impressions pittoresques et de pressentimens du surnaturel.

— Vous avez parfaitement raison, et cependant...

— En effet, répéta Weber, il y a un cependant. J’aurais beau m’ étendre des heures entières sur ce qui constitue le caractère d’une musique, — par de la toutes mes argumentations restera toujours quelque chose qui ne saurait se définir. Mettons aujourd’hui que dix compositeurs, mes égaux en talent sinon mes maîtres, écrivent, dans les principes qui m’ont guidé, chacun une partition du Freischütz : ces dix partitions auront toutes leur mérite sans doute, mérite quelquefois peut-être supérieur au mien; mais ce ne sera plus ma musique, la musique de Weber. Ce qui fait de ma musique ce qu’elle est, c’est ma personnalité, plus encore, le don d’en haut. Ce talent que Dieu m’a donné, j’ai conscience de l’avoir exercé, pratiqué de mon mieux. Maintenant, si l’emploi que j’en ai fait m’a réussi, c’est à Dieu seul que la gloire en revient, le maître des maîtres!...

À ces mots, Weber leva les yeux au ciel, puis, comme s’il eût voulu rester sous cette impression religieuse, il tendit affectueusement la main à son visiteur, qui, rentré chez lui, nota l’entretien, lequel fut d’ailleurs suivi de plusieurs autres. Weber aimait beaucoup à causer de son art avec ses amis, la familiarité du dialogue surtout le charmait. Il se plaisait alors à développer ses idées, à dire le comment et le pourquoi des choses dans une sorte de demi-confidence qu’on pouvait trahir sans crainte de le chagriner. Tous les Goethe, quoi qu’on en puisse dire, ont un faible pour les Eckermann. N’abusons pas cependant de la parole d’un grand homme. Ce que nous en avons cité suffit pour nous montrer le philosophe, le pen-