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à fait actuelle, sur laquelle il avait devancé et où le rejoignent aujourd’hui les philosophes occupés de sciences et les savans occupés de philosophie.

D’ailleurs, de l’aveu même du traducteur, la Philosophie de la Nature de Hegel est demeurée presque inconnue jusqu’ici, et peut être considérée comme un livre presque nouveau. De même que M. Véra, nous sommes porté à nous en étonner. En effet, n’eût-il pas le caractère d’opportunité que lui communiquent les tendances spéculatives des physiciens et des chimistes, cet ouvrage mériterait encore la sérieuse attention qui semble lui avoir été refusée. Ce travail immense ne fut ni un caprice passager de ce grand esprit, ni un épisode dans son œuvre. Pour parler son langage, la nature est, au point de vue de la métaphysique, le second moment du développement de l’absolu ; c’est la phase que l’idée doit nécessairement traverser avant de prendre conscience d’elle-même dans l’intelligence de l’homme. En conséquence, la Philosophie de la Nature est l’indispensable trait d’union qui relie la Logique à la Philosophie de l’Esprit. Aussi Hegel a-t-il attaché une singulière importance à cette partie essentielle de son Encyclopédie. De 1804 à 1830, il l’a exposée huit fois dans son enseignement : une fois à Iéna, une fois à Heidelberg, et six fois à Berlin. À chaque reprise, il enrichissait sa conception primitive d’additions, d’appendices, de matériaux abondans et précieux, que son savant élève M. Michelet (de Berlin) a fait entrer dans l’édition qu’il a publiée de la Grande Philosophie de la Nature. À mesure qu’il perfectionnait et complétait sa théorie de l’univers, le puissant penseur se tenait au courant de toutes choses et mettait hors de doute sa haute compétence scientifique. C’est ainsi qu’il a pu tenter et mener à fin un genre de construction que nulle part le passé ne nous montre porté à un pareil degré d’unité systématique. Quoiqu’on y sente partout la main du génie, le Timée de Platon n’est encore qu’une hardie et brillante esquisse de philosophie naturelle, où l’idéalisme géométrique usurpe trop souvent les droits de l’observation et de l’expérience. Quant à Aristote, tout lecteur éclairé est en mesure aujourd’hui de s’assurer, dans la traduction de M. Barthélémy Saint-Hilaire, que les vues de l’auteur de la Physique, du Traité du Ciel, de la Naissance et de la Destruction, composent un système dont les diverses parties sont admirablement liées. Toutefois ce système, comparé à celui de Hegel, offre cet inconvénient qu’il n’est pas coulé en quelque sorte d’un seul jet, et que pour le reconstituer l’historien de la philosophie est obligé d’en chercher les élémens dans un assez grand nombre d’ouvrages distincts. Si de l’antiquité nous passons aux temps modernes, nous rencontrons au XVIIe siècle un monument