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plus de réalité, il localisera ce point, ce lieu dans le temps, comme il l’a localisé dans l’espace, et il l’appellera un ici et un à présent. Par ce passage de l’espace abstrait et indéterminé à l’espace déterminé, par cette identification d’un point de l’espace avec un point de la durée, on obtiendra un nouveau devenir. Ce devenir sera le mouvement, et le résultat de ce mouvement sera la matière.

Après avoir exposé cette genèse de la matière au moyen de l’unité et de l’identité du lieu et du mouvement, Hegel déclare que cette évolution est incompréhensible pour l’entendement, lequel n’est qu’une faculté intellectuelle de second degré ; mais, à l’en croire, la raison spéculative, cette suprême fonction de la pensée, doit comprendre qu’on peut mettre l’idéal à la place du réel, et réciproquement. Cependant, quelque respect que l’on éprouve à l’égard de ce noble esprit, quelque vif désir que l’on ait d’entrer dans ses conceptions, on se sent arrêté par les barrières infranchissables de l’impossible. L’espace pur, ce point de départ de la nature dans la doctrine hégélienne, est radicalement distinct de la matière. Transformer en matière cette pure et vide étendue, c’est opérer une véritable création ex nihilo. Que le travail se fasse sur l’espace en général ou sur un lieu particulier conçu dans un temps particulier, la difficulté restera la même, car un élément de l’espace pris à part n’est ni moins nu ni moins dépouillé de réalité matérielle que l’espace tout entier. J’admettrais le miracle, sans le comprendre, si quelque puissance créatrice était là pour l’accomplir ; mais Hegel ne permet pas qu’on invoque, dans cette formation de la matière, l’intervention d’une force quelconque. Il nie que la force, entendue au sens métaphysique, soit le principe suprême des choses, et ne veut d’autre principe que l’idée, comme si le néant était capable de féconder le néant.

Les illusions idéalistes du philosophe allemand au sujet de la matière passent toute croyance. Ceux qui seraient tentés de suspecter notre témoignage n’ont qu’à lire les lignes suivantes : « La mécanique nous offre un exemple bien déterminé du passage de l’idéal au réel en faisant voir qu’on peut mettre l’idéal à la place du réel, et réciproquement… Dans le levier, la masse peut être remplacée par la longueur, et réciproquement, et une certaine quantité d’élémens idéaux produit le même effet que les élémens réels qui correspondent à ces derniers. Dans le mouvement, la vitesse remplace la masse, et réciproquement on peut obtenir le même effet en augmentant la masse et en diminuant la quantité de l’espace et du temps. Une tuile ne tue pas par elle-même, mais elle produit cet effet par suite de la vitesse acquise, c’est-à-dire qu’un homme est tué par le temps et par l’espace. » Comment Hegel n’a-t-il pas