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l’éther existe et l’éther doit exister, n’ont pas la même origine dans l’esprit qui les énonce. La première est le fruit de l’imagination scientifique qui tâche de prêter une forme, une essence, un mode d’action à ce que l’observation ne saisit pas ; la seconde est le cri de la raison cédant à l’autorité irrésistible d’une de ses lois constitutives. Cette loi, c’est que partout où il y a des vibrations, des rayonnemens, des courans, des mouvemens, il y a quelque chose de réel qui vibre, ou qui rayonne, ou qui court, ou qui se meut. Ce quelque chose, on l’appellera comme on voudra, le nom importe peu ; mais, quel que soit le nom qu’on emploie, on est forcé non pas de supposer, — il ne s’agit plus ici de supposition, — mais d’affirmer qu’une certaine substance se cache et réside inévitablement sous les mouvemens mille fois variés dont le monde physique est le théâtre. Le savant a beau faire, il a beau railler, sourire, abonder en négations ; il n’échappe pas plus à cette nécessité impérieuse que l’enfant qui est convaincu que son joujou cache un ressort intérieur, et qui le brise pour en connaître le mystérieux contenu. Mais où donc le savant et l’enfant ont-ils pris l’idée de ce quelque chose que leur raison obstinée conçoit et affirme sous la perpétuelle mobilité des transformations et des apparences ? Serait-ce dans la nature visible ? L’auteur des Problèmes sait parfaitement que non, et il l’avoue sans détour. Serait-ce dans la raison ? Mais la philosophie a démontré cent fois que la raison, quand elle fait divorce avec l’expérience, n’enfante plus que des formes vides, tandis que rien n’est plus réel que la substance des objets physiques. L’idée d’un sujet, d’un être, d’une substance dont les qualités et les mouvemens ne sont que des manifestations, cette idée, le savant ne l’aurait jamais eue, s’il n’avait rencontré au fond de lui-même ce moi chétif dont M. Laugel se moque, mais qui est le seul être qu’il connaisse directement, à l’image duquel il conçoit plus ou moins tous les autres. Vous croyez que dans la nature il existe des substances ; vous employez ce terme fréquemment et volontiers ; vous affirmez l’existence de l’éther parce que, selon vous, une substance est nécessaire pour rendre compte des vibrations de la lumière. Vous avez raison ; mais de votre théorie de la matière, de votre conception de l’éther et des atomes, retranchez l’idée d’être ou de substance que la seule psychologie vous a prêtée, que restera-t-il ? Des mouvemens sans rien qui soit nui, des vibrations sans rien qui vibre, des rayonnemens sans rien qui rayonne, c’est-à-dire le pur scepticisme. Donc, et en dépit de vos résolutions, vous êtes parti de la psychologie et de vous-même, au lieu de partir, comme vous le pensiez, de la physique et de la nature. Loin d’avoir changé et en quelque sorte retourné le con-