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tail. « Un pourvoyeur de la reine a présenté un mémoire au roi déclarant qu’il ne pouvait plus fournir, vu qu’il allait faire banqueroute faute de paiement, ce qui est arrivé à un autre pourvoyeur. Par ce mémoire, il démontrait divers abus de fournitures indues qui les ruinent. Le roi l’a renvoyé à l’examen et a voulu qu’on le lui rendît ensuite ; mais à quoi bon ? Quel profit restera-t-il de la conviction qu’il a d’être volé ? Le sera-t-il moins dans la suite ? Il le sera un peu davantage… » Et voilà justement le dernier mot de cette puissance absolue : elle n’est le plus souvent qu’une fiction désastreuse ; elle est réduite à tout souffrir ou à frapper par un de ces caprices autocratiques qui ne remédient à rien, à subir la politique qu’on lui fait ou à réagir par une action mystérieuse et inavouée.

C’est de cette situation que naît le ministère secret, combinaison de régime absolu, œuvre bizarre, décousue, souvent contrariée et la seule peut-être où Louis XV ait mis un peu de lui-même, où il ait déployé une certaine activité continue, quoique en définitive sans résultat. C’était pour lui comme un dédommagement de son impuissance officielle, un moyen d’échapper à ses ministres et même de les surveiller, de contrôler leur action ; il y trouvait le double attrait de satisfaire sa curiosité par les rapports secrets qu’il recevait et de se sentir maître, d’avoir une volonté, une politique surtout dans les affaires extérieures, auxquelles il s’intéressa toujours autant qu’il pouvait s’intéresser à une chose sérieuse. Il n’avait songé a rien de semblable sous la longue administration du cardinal de Fleury, dont la vieille et doucereuse influence avait dominé sa jeunesse timide et lente à s’émanciper, ou du moins il n’était pas allé bien loin dans ses rapports avec M. de Chauvelin. Après la mort du vieux cardinal, il s’enhardit à nouer une correspondance secrète avec le maréchal de Noailles, celle qu’on connaît aujourd’hui, qui a été récemment publiée par M. Rousset[1] ; mais ce n’est là encore qu’un épisode indépendant, une sorte de prologue de la grande correspondance, qui ne commençait qu’un peu plus tard, qui n’arrivait à s’organiser définitivement qu’après 1750, et qui se prolongeait pendant plus de vingt ans à travers les règnes éphémères des favorites et de tous ces ministres des affaires étrangères qui se succédaient, M. de Puisieux, M. de Rouillé, l’abbé de Bernis, M. de Praslin, le duc d’Aiguillon.

Ce fut à l’occasion des affaires du nord et de la candidature du prince de Conti à la couronne de Pologne que commença de se

  1. Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, avec une introduction par M. Camille Rousset, 2 vol. in-8o.