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au dehors et qu’il était admis au secret, comme le furent M. de Breteuil, M. de Vergennes, M. d’Havrincourt, il devait communiquer toutes les instructions écrites ou verbales qu’il recevait du ministre des affaires étrangères, et ces instructions étaient examinées, contrôlées, modifiées souvent par les directions de la politique personnelle du roi. Ce n’était pas d’ailleurs toujours l’ambassadeur lui-même qui était initié ; quand il n’inspirait pas assez de confiance, on choisissait ou on plaçait auprès de lui un secrétaire chargé de correspondre avec le cabinet secret. On usait des plus minutieuses précautions pour dérouter les curiosités indiscrètes ; toutes les lettres étaient chiffrées ; on adoptait des noms de fantaisie. A une certaine époque, dans la correspondance avec le chevalier d’Eon, sous le duc de Choiseul, le roi s’appelait l’Avocat, le comte de Broglie le Substitut, Tercier le Procureur, le duc de Nivernais, ambassadeur à Londres, le Mielleux, le duc de Praslin l’Amer, le duc de Choiseul le Lion rouge ou la Porcelaine, le chevalier d’Eon l’Intrépide ou la tête de dragon. La transmission des dépêches était aussi une grande affaire dans un temps où l’on ne se faisait pas faute d’intercepter les correspondances. Par sa position de premier commis des affaires étrangères, Tercier pouvait mieux que tout autre faciliter cette transmission ; il employait les courriers de cabinet pour une partie des dépêches, et pour le reste le roi, craignant les indiscrétions du cabinet noir, finit par organiser à la poste un service particulier destiné à préserver de toute inquisition les lettres adressées à certains noms. Ces lettres devaient lui être remises directement par l’intendant des postes Jeannel, et c’était lui qui les faisait remettre à Tercier ou au comte de Broglie. Ce fut là toujours visiblement pour Louis XV une grande affaire. Cette correspondance secrète était son œuvre, il s’y complaisait.

Louis XV se flattait certainement lorsqu’il disait au maréchal de Noailles ce mot de tous les apathiques : « Ce qui est de sûr, c’est que je suis très patient, peut-être trop, et que j’aime à voir clair dans les choses, après quoi je sais prendre mon parti. » Il ne sut jamais prendre un parti sur rien. Il ne portait pas moins dans les mille complications de cette mystérieuse diplomatie une activité qu’il sentait défaillir, il est vrai, quand il se trouvait en présence des difficultés. La ténacité qu’il n’avait pas dans les grandes choses, il la mettait dans les petites : tout ce qui arrivait au cabinet secret était revu par lui, annoté et commenté. Il corrigeait souvent les réponses de Tercier ou du comte de Broglie ; il écrivait lui-même, il écrivait beaucoup ; il entrait dans une multitude de détails, et c’est là peut-être dans cette familiarité, dans cette poussière de