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ler son esprit national, d’organiser ses forces, de lui donner un rôle dans les affaires de l’Europe, d’entourer enfin sa position de garanties propres à suspendre le travail d’empiétement qui la pressait de toutes parts. La France, avec les auxiliaires qu’elle eût ralliés à sa cause serait restée la gardienne naturelle de cette situation, où elle trouvait ce qu’elle cherchait, une limite aux progrès de la Russie en Europe et, mieux encore, un obstacle durable à ce rapprochement des trois puissances du nord dont on n’entrevoyait pas même alors la possibilité, quoiqu’il fût pourtant si prochain. En plusieurs circonstances, le comte de Broglie proposa des plans pour la réalisation de son système, montrant d’avance avec autant de force que de clarté les dangers qui allaient naître de la chute de la Pologne. J’ajouterai qu’il resta jusqu’au bout, jusqu’à en être importun, le défenseur de ces idées.

Préserver la Pologne d’un désastre qu’on prévoyait était donc un intérêt reconnu dans les conseils secrets de Louis XV. Voilà ce que les documens nouveaux précisent et rendent sensible par les détails qu’ils révèlent; mais cette question, elle se liait évidemment à l’ensemble de la politique, au mouvement qui agitait l’Europe, à notre position fédérative et militaire, selon le mot du comte de Broglie; elle dépendait du parti que prendrait la France, des arrangemens qu’elle déterminerait, des alliés vers lesquels elle se tournerait, et c’est là justement qu’expirent les sympathies et la bonne volonté de Louis XV, que la politique secrète, œuvre de régime absolu, périt par l’impuissance du régime absolu. Voilà ce que ces documens ne montrent pas avec moins de clarté. — Tandis que Louis XV s’efforçait d’un côté de maintenir dans ses conseils particuliers une pensée protectrice ou simplement prévoyante pour la Pologne, il laissait accomplir d’un autre côté, il accomplissait lui-même cette révolution diplomatique qui marquait le milieu du XVIIIe siècle, qui après deux cents ans d’antagonisme faisait de la France l’alliée presque subordonnée de l’Autriche, et dans laquelle la pensée de son conseil secret allait se perdre pour finir par n’être plus qu’un regret inutile. De là tout un ordre nouveau de rapports, de combinaisons et d’événemens, nés de ce déplacement soudain qui coïncidait avec l’apparition de la Russie dans les affaires de l’Europe et avec l’éclatant avènement de la puissance prussienne.

La vraie politique de la France, placée entre l’Autriche et la Prusse, eût été de ne pas craindre de s’allier à cette puissance nouvelle qui se formait en Allemagne, qui était tout à la fois pour nous le contre-poids de la puissance autrichienne et l’antagoniste de la Russie, dont elle n’avait pas eu encore le temps de se rapprocher. Ce n’était pas seulement conforme à la vieille tradition fran-