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de glace. Ce havre-sac fut reconnu par plusieurs guides qui l’avaient porté et par sor ancien propriétaire. En dix ans, ce sac, abandonné au fond d’une crevasse, était descendu avec la cascade du glacier de Talèfre, et avait apparu 340 mètres plus bas à la surface, par suite de la fonte superficielle du glacier.

Les catastrophes dont les Alpes sont quelquefois le théâtre fournissent aussi à la science des faits qu’elle ne saurait négliger. Le 18 août 1820, le Dr Hamel et deux Anglais partent de Chamonix pour faire l’ascension du Mont-Blanc. Le temps n’était pas favorable, on attendit pendant vingt-quatre heures aux rochers des Grands-Mulets. Malgré l’avis des guides, le docteur insista pour partir. On arrive au grand plateau, et prenant le chemin plus court, mais plus dangereux, que de Saussure avait suivi, on s’élève le long de l’escarpement vers le sommet. Le vent était violent. Tout à coup un craquement épouvantable se fait entendre, une avalanche se détache et entraîne cinq guides; trois disparaissent dans une crevasse, et la neige qui descendait avec eux, tombant en cascade dans le gouffre, les ensevelit vivans au fond de l’abîme. Deux seulement, arrêtés miraculeusement au bord de la rimaye se dégagent. Tout secours était inutile, et les survivans redescendirent désespérés à Chamonix. Quarante ans après, le 15 août 1861, on retrouva encore engagés dans la glace au pied du glacier des Bossons quelques ossemens, un chapeau de feutre et une lanterne écrasée. Deux survivans du désastre, vieillards octogénaires, reconnurent à la couleur des cheveux et à d’autres indices quels étaient les deux guides dont les os avaient ainsi revu la lumière. On peut estimer à 3,500 mètres environ la différence de niveau des deux points où les guides ont péri et où leurs restes ont été retrouvés. L’avenir sera témoin d’une démonstration moins tragique et tout aussi probante. Quand nous quittâmes le grand plateau du Mont-Blanc le 1er septembre 1844, mon ami Auguste Bravais et moi, nous laissâmes enfoncés dans la neige les deux montans et la traverse de la tente qui nous avait abrités, ainsi que les longues chevilles de bois qui maintenaient la toile. Un jour sans doute, vers 1880, un touriste verra ces montans gisant à la surface du glacier des Bossons, et quelque vieux guide se rappellera que trente-six ans auparavant de jeunes Français avaient dressé leur tente-sur le grand plateau, à 4,000 mètres au-dessus de la mer, pour se livrer à une série d’observations météorologiques, comme jadis de Saussure avait séjourné sur le col du Géant[1].

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1305.