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Les souvenirs abondent au Caire, et l’on comprend qu’un voyageur ingénieux ait comparé l’Egypte à un palimpseste où l’on trouverait successivement écrits l’un sur l’autre la Bible, Hérodote et le Koran. C’est sur la montagne de la citadelle que les Arabes placent le sacrifice d’Abraham, et ils l’ont baptisée en conséquence citadelle du Bélier. C’est sur l’île de Roda, en face du vieux Caire, que, selon eux encore, la fille de Pharaon trouva et recueillit le berceau flottant de Moïse. Une autre curiosité de la ville, le puits de Joseph, qui s’enfonce à 80 mètres dans le roc, n’a pas, malgré le nom, la même origine biblique; il se rattache à la mémoire du sultan Saladin, le héros des croisades et l’un des plus grands hommes de l’Egypte. Son tombeau se voit encore dans le cimetière des Mameluks, près de celui de la famille de Méhémet-Ali, — curieuse coïncidence qui rapproche ainsi dans la nécropole les restes des deux souverains qui ont le plus marqué dans l’histoire du pays. Enfin les guides ne manquent jamais de montrer le saut du Mameluk, qui rappelle au voyageur le tragique épisode par lequel ce même Méhémet-Ali mit en 1811 le sceau à sa domination. Ce fut là qu’Amin-Bey échappa par miracle au massacre de cette milice célèbre en se précipitant au galop du haut d’un bastion sur une esplanade à 100 mètres au-dessous; le cheval fut tué, et Amin réussit à gagner le désert, puis Constantinople, où il occupa par la suite un poste élevé près du sultan. Le pacha attendait le résultat de cette boucherie à deux pas, dans un palais que l’on visite également, et que ses successeurs ont imaginé de meubler avec un luxe européen du goût le plus criard. Les princes égyptiens doivent être la providence des tapissiers et des carrossiers parisiens, à en juger par les dorures de leurs voitures de gala et par le coûteux mobilier de ceux de leurs appartemens où le public est admis. Telle est dans le palais de Choubra, à une lieue et demie du Caire, sur les bords du Nil, la célébré piscine aux quatre pavillons. Méhémet-Ali tirait volontiers vanité d’avoir éclairé au gaz les écuries de ce palais, alors que les rues de Paris en étaient encore aux réverbères à l’huile. Ne faisait-il pas là lui-même à son insu la meilleure critique de ses réformes éphémères?

A voir avec quelle profusion ces palais sont répandus dans les environs du Caire, on ne laisse pas que d’être effrayé de la façon dont pullulent les princes égyptiens qui encombrent à tous les degrés les marches du trône, et l’on est forcé de reconnaître une certaine logique à la tradition orientale par laquelle tout souverain faisait étrangler ses frères en acte de joyeux avènement, sans oublier de noyer dans un sac les favorites soupçonnées d’être enceintes. Maintenant que le contrôle incessant de l’Europe ne permet plus de recourir à ces moyens expéditifs, il faut que le pays entretienne à