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voirs n’était pas toujours heureux. C’était son idée fixe ou souvent reproduite que le saint-père devait profiter de la circonstance pour se faire rendre les légations et obtenir une compensation pour Avignon et Carpentras. Rendons au saint-père cette justice, qu’il ne voulut jamais entendre parler de mettre en avant une pareille prétention. Dans cette négociation comme dans celle qui précéda le concordat, il tint à honneur de ne vouloir rien mêler de temporel ’nullo di temporale) à ce qui regardait exclusivement la religion. Les rôles étaient complètement intervertis. Le cardinal Fesch, animé d’ailleurs des meilleures intentions envers le saint-siège, mais tout à fait déconcerté par le sang-froid et la douceur de ceux auxquels il avait affaire, brouillait tout, envenimait tout, et se laissait aller parfois aux plus étranges emportemens[1].

Le cardinal Consalvi a parfaitement raison quand il constate dans ses mémoires que le saint-siège maintint jusqu’au bout avec la plus grande fermeté comme avec la plus patiente douceur toutes les conditions que, dès le début, il avait mises à l’octroi de la faveur que le nouvel empereur sollicitait de sa complaisance. Il n’est pas moins dans le vrai quand il affirme que de ces conditions aucune ne fut plus tard sincèrement remplie ; mais où il se trompe, c’est quand il donne à entendre qu’à force de persévérance il avait réduit le gouvernement français à prendre à son égard des engagemens positifs et formels. Pour nous, qui avons sous les yeux toutes les communications échangées par écrit à cette époque, il est trop clair qu’il n’en fut rien. Nous doutons même qu’avec tout son esprit le ministre du saint-siège ait jamais pu entretenir sur ce point la moindre illusion. Le pape ne nous semble pas non plus avoir compté plus que de raison sur l’exécution des promesses qui lui furent alors prodiguées, quand il céda, de guerre lasse, aux vives instances du cardinal Fesch, aux notes répétées de M. de Talleyrand, aux désirs exprimés dans les lettres de plus en plus flatteuses de Napoléon. Le cardinal Fesch, comme la suite l’a prouvé, était seul de bonne foi. Rien de plus séduisant, il est vrai, mais aussi rien de plus vague que les espérances données au saint-siège dans les dépêches émanées du gouvernement français. C’était l’habile évêque d’Orléans qui en fournissait le fond, M. de Talleyrand y ajoutait les grâces de son insinuant langage ; mais il fallait beaucoup de complaisance pour s’y laisser prendre. Quant à Napoléon,

  1. M. Artaud raconte qu’à la suite d’une des entrevues les plus orageuses qu’il ait eues avec le cardinal secrétaire d’état pendant cette longue et difficile négociation, le cardinal Fesch avait tellement perdu la tête, qu’à son decano di portera, qui lui demandait où il fallait conduire son éminence, il répondit tout en colère, devant la foule étonnée : Casa del diavolo ! (M. Artaud, Vie de Pie VII, t. Ier, p. 489.)