Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principal champion. Des anciennes assises de l’édifice politique, laquelle est restée debout ? De ce qu’on était convenu de considérer comme les forces conservatrices et les influences salutaires contre le désordre, qu’est-ce qui a gardé son efficacité et son prestige ? Un seul fait éclatant domine, l’activité industrielle ; un seul sentiment se fait jour, celui de l’égalité dans le travail ; un seul besoin prévaut, celui de d’aisance. À tout prendre, ces instincts ont leur légitimité et ces sentimens leur grandeur : à défaut de toute autre force conservatrice, la recherche du bien-être matériel suffirait pour préserver la sociétés et même pour faire progresser la civilisation. En dehors de la foi politique et religieuse, la foi industrielle, si l’on peut ainsi parler, créerait de puissans efforts, cimenterait, une solidarité vaillante, provoquerait même des enthousiasmes sincères. C’est d’hier seulement que datent les progrès matériels, la vapeur, l’électricité, la télégraphie, etc. ; notre génération les a vues naître, toutes, ces inventions merveilleuses dont l’enfance d’un grand nombre de nous a été privée, et sans lesquelles l’existence moderne ne se peut plus concevoir. Nous sommes encore tout fiers de ces découvertes et tellement sûrs d’enfanter de nouveaux prodiges que nos préoccupations se concentrent sur ce seul objet, et que nous dédaignons comme chimériques et puériles bien des aspirations où se complaisait le génie de nos pères. Toutefois que l’on interroge sérieusement nos industriels, patrons et ouvriers, que l’on pénètre avec sympathie leurs pensées intimes, leurs secrets désirs, et sous le besoin légitime des jouissances matérielles on trouvera de mâles vertus, l’indépendance du caractère, la soif du savoir et le sentiment de la dignité personnelle. La vieille Europe a porté autrefois sa civilisation dans le Nouveau-Monde : il lui renvoie aujourd’hui ses idées, ses sentimens et ses mœurs. On nous a longtemps accusés en particulier de copier l’Angleterre ; à qui ressemblons-nous davantage, si ce n’est aux États-Unis d’Amérique, non-seulement par le vote populaire, mais par la mobilité des fortunes, la confiance de l’individu en lui-même, la concurrence de tous à la richesse, à l’instruction, au pouvoir ? C’est vers cette ressemblance de plus en plus accusée que nous marchons, on ne saurait le nier. Rien n’arrêtera ce courant. Quels que soient donc les regrets du passé, faisons comme ont fait ces hardis pionniers du Nouveau-Monde, exilés volontaires de l’ancien, ne reportons plus les yeux vers la patrie laissée à l’autre bord, fécondons la terre qui s’offre aux moissons futures, bâtissons-nous, le plus possible de solides abris. On serait à coup sûr mal venu, en ce siècle où le précepte de l’intérêt bien entendu domine, à demander de longs sacrifices, un dévouement populaire absolu aux exigences d’une religion intolérante, d’un loyalisme