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sein même de l’église qu’est né ce système d’élections, de discussion, de contrôle, qui est aujourd’hui l’honneur et la juste ambition de notre esprit moderne ? Faire sa paix avec la liberté, s’accommoder à son régime, comprendre et bénir ses bienfaits, est-ce donc absoudre ses erreurs ? est-ce approuver ses crimes ? est-ce faire la moindre concession au désordre et à l’anarchie ? — N’importe, dira-t-on ; ne mêlez pas la religion aux questions de parti, ne l’intéressez pas à ce genre de querelles. Plus elle s’abstiendra des affaires de ce monde, plus son empire s’affermira. — Nous en tombons d’accord, et tout à l’heure nous-même nous insistions sur cette vérité ; mais, si dégagés qu’ils soient de toute politique, de tout intérêt mondain, si absorbés qu’on les suppose par la prière et les bonnes œuvres, les esprits les plus religieux et le clergé lui-même peuvent-ils vivre ici-bas en complète ignorance de tout ce qui s’y passe ? Pour s’attaquer aux vices, aux bassesses, aux désordres du siècle, ne faut-il pas qu’ils les connaissent, et de leurs propres yeux ? Nous le demandons à ces âmes pieuses qu’effarouche le plus l’association de ces deux mots, libéralisme et religion : trouvent-elles donc mauvais que des voix éloquentes condamnent et flétrissent du haut de la chaire sacrée les égaremens de l’esprit moderne, le délire révolutionnaire, ces doctrines impies, la plaie de la famille et de la société ? Si la religion doit faire ainsi la guerre à la mauvaise liberté, ne faut-il pas l’autoriser à parler aussi de la bonne ? Ne faut-il pas l’encourager à n’en parler qu’en termes bienveillans, à faire valoir ses côtés généreux, à la faire aimer et comprendre ? Qu’est-ce donc que le christianisme, et quel sort lui réservez-vous ? N’en faites-vous qu’une étroite doctrine, privilège de quelques élus, consolation tardive et solitaire de ceux que sépare du monde ou la vieillesse ou la douleur ? Si vous ne lui demandez pas autre chose, s’il vous suffit de le faire vivre tout juste assez pour ne pas mourir, comme une de ces ruines que l’archéologie protège et qu’on tient hors d’usage tout en les respectant, alors séparez-le des générations qui s’élèvent, de cette démocratie qui s’avance à pleins bords ; laissez-le s’isoler et vieillir, laissez-le s’enfouir et se complaire dans la louange du passé, dans le dédain du présent, grondeur sans indulgence, chagrin, morose, impopulaire ! Mais si, comprenant mieux sa véritable destinée, vous voulez qu’il exerce une action salutaire non pas seulement sur vous et vos amis, mais sur le genre humain tout entier, qu’il entre au cœur de tous vos frères, jeunes et vieux, petits et grands, qu’il les pénètre de l’esprit de justice et de vérité, qu’il les transforme, les redresse, les purifie, les régénère, alors souffrez qu’il leur parle leur langue, souffrez qu’il s’intéresse à leurs idées, qu’il s’accommode à leurs