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de solliciter un contre-ordre ; il partit donc au mois de mars, arriva en avril à l’Ile de France, y resta neuf mois qu’il employa à dresser une carte de la contrée, puis passa six semaines à Bourbon, et ne revint en France qu’au mois de juin 1754. Fuyant le monde et le bruit, il se cloîtra de nouveau dans son petit observatoire du collège Mazarin, impatient d’y reprendre ses travaux, suspendus pendant quatre ans. Un trait mérite d’être noté. On lui avait alloué pour les frais de son voyage au Cap une somme de 10,000 francs qui devait suffire à l’achat des instrumens nécessaires, à son entretien personnel et à celui d’un artiste qu’il emmenait avec lui. Lacaille ne dépensa en quatre ans que 9,145 francs. A son retour il se présenta au trésor pour rembourser les 855 francs qui lui restaient ; il eut quelque peine, tant la chose parut extraordinaire, à faire accepter cette restitution.

La triangulation du Cap donna un résultat très inattendu et très singulier : Lacaille crut pouvoir conclure de ses mesures que la surface terrestre offre dans l’hémisphère austral une courbure moins prononcée que dans l’hémisphère opposé. Cette déduction excita un étonnement général : elle était en contradiction flagrante avec la loi de la gravitation, et, n’eût été l’autorité d’un astronome tel que Lacaille, on aurait cru à quelque grosse erreur dans ses opérations.

En 1821, soixante-dix ans plus tard, le colonel Everest, de passage au Cap, fit quelques tentatives pour retrouver l’emplacement des stations où Lacaille avait observé et les vestiges des signaux qu’il avait érigés sur les montagnes. Ces tentatives ne réussirent qu’à demi. Les signaux et l’observatoire avaient disparu, la grange de Klyp-Fonteyn n’existait plus, aucune personne du nom de Bestbier n’habitait plus la ville du Cap ; c’est à peine si quelques vieillards se souvenaient encore de l’expédition. Néanmoins une étude attentive des lieux conduisit M. Everest à une conclusion fort importante. Il fut convaincu que les observations de Lacaille avaient dû être faussées par les attractions locales. On appelle ainsi l’influence que les montagnes exercent sur la direction du fil à plomb : c’est une des plus fréquentes sources d’erreurs dans les travaux de géodésie pratique. On sait que la direction de la verticale que représente le fil à plomb est déterminée par la pesanteur. Cette direction serait partout perpendiculaire à la surface générale du globe, si la terre était homogène ; mais la présence des montagnes produit souvent une déviation sensible, dont il est nécessaire de tenir compte dans les observations par lesquelles on détermine la latitude d’une station. Au Cap, la disposition du terrain devait inspirer la crainte d’erreurs de ce genre, et le colonel Everest n’hésita pas