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étendue, près de neuf cents points ont été déterminés avec précision ; ils se suivent d’une manière assez serrée pour qu’on ait pu sans inconvénient compléter les cartes en intercalant les détails fournis par le journal de voyage, par les esquisses et par les souvenirs de M. d’Abbadie. Sa grande carte d’Ethiopie renferme donc les positions des villes et des villages, la situation et la hauteur des montagnes et des plateaux, le cours des rivières, le tracé des routes de caravanes, comme si notre corps du génie avait passé par là. Ce résultat vraiment gigantesque a été obtenu par l’emploi d’une méthode nouvelle inaugurée par M. d’Abbadie, et dont nous allons essayer de faire comprendre le principe et l’utilité.

Ce procédé pourrait peut-être s’appeler triangulation naturelle. C’est l’application de la méthode des triangles aux signaux naturels tels que ceux que peuvent fournir les pics des montagnes, les cimes des arbres, les toits des maisons, les angles saillans d’un précipice, les bords d’une île ou d’un lac. On relève en aussi grand nombre que possible les objets saillans qui découpent l’horizon, on en note le gisement et l’élévation apparente, et, après avoir répété cette opération sur toutes les stations qu’on a pu obtenir, on trace sur le papier tous ces alignemens entre-croisés, et l’on cherche à les combiner de manière à former des triangles. Deux relèvemens d’un point quelconque de deux stations dont on connaît déjà les positions fixent toujours la position de ce point ; si on dispose d’un nombre plus grand de relèvemens, il n’y a pas de mal, au contraire : il faudra que toutes les directions tracées sur la carte passent par un même point, et cela permettra de les contrôler les unes par les autres et de découvrir les erreurs.

On nous demandera maintenant de quelle façon se déterminent les premières stations, celles dont nous avons supposé les positions connues. C’est ici surtout que la nouvelle méthode diffère des triangulations ordinaires. On ne peut pas songer dans un pays sauvage à mesurer sur le terrain une base d’une étendue un peu considérable, et à prendre pour premières stations les deux extrémités de cette base. Il n’y a d’autre moyen que de mesurer la base sur le ciel. On détermine avec autant de précision que possible les latitudes astronomiques de deux points importans alignés à peu près du nord au sud et assez élevés pour que l’un puisse être aperçu de l’autre ; la différence de latitude entre les deux points devient la base des relèvemens. C’est ainsi que M. d’Abbadie a pris pour points de départ de ses premières constructions les monts Dixa et Saloda, situés l’un par 14° 59’, l’autre par 14° 11’ de latitude, sur une ligne qui fait un angle d’environ 22 degrés avec le méridien. De ces deux stations, qui l’une et l’autre dominent un large horizon, M. d’Abbadie a relevé un grand nombre de sommets et d’autres