Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans leurs nombreux circuits le tribut de tous les cours d’eau que la nature extrêmement accidentée du pays multiplie à l’infini.

Accompagné d’un personnel arabe convenable, Samuel Baker partit de Berbère le 11 juin 1861, et entra le surlendemain dans le bassin de l’Atbarah. Cette rivière était à sec sur une longueur de plus de trente lieues, et le lit ressemblait à un chemin fort large, légèrement concave et couvert d’un sable brillant. De distance en distance se rencontraient des étangs dont le plus grand pouvait avoir un kilomètre, et dans lesquels vivait tout un monde aquatique obligé de s’y cantonner pendant la sécheresse, — crocodiles, hippopotames, poissons, tortues. L’Atbarah reste dans cet état du mois de mars au mois de juin. C’est vers le milieu de mai que commence la saison pluvieuse ; mais le sol altéré absorbe les premières pluies, et les tributaires de l’Atbarah ne commencent à lui apporter leurs eaux que du 10 au 15 juin. Baker était le 23 à soixante lieues de l’embouchure du fleuve, lorsqu’il aperçut le premier filet d’eau en sillonner le lit ; mais quel ne fut pas son étonnement de le voir grandir en peu d’heures et devenir un cours d’eau de premier ordre, qui n’avait pas moins de 450 mètres de largeur et 6 ou 7 de profondeur !

L’Atbarah reçoit les eaux de quatre grandes rivières, qui sont à leur tour les artères d’autant de bassins secondaires. Les pluies sont diluviennes. Le plus petit ravin devient un torrent impétueux dont les eaux ressemblent à une bouillie, tant elles roulent de matières diverses. Elles désagrègent et enlèvent les molécules des roches ; elles déracinent toutes les plantes que neuf mois de soleil avaient fait pousser dans les lits desséchés ; elles entraînent les arbres tombés de vétusté, en arrachent de vivans et balaient les feuilles qui jonchent le sol des forêts ; elles submergent des myriades de nids d’insectes, de petits mammifères et d’oiseaux qui s’étaient logés dans les crevasses des rochers ou sous les berges des rivières, et charrient chaque année des quadrupèdes de la plus grande espèce, des buffles, des éléphans, qui se sont attardés loin de leurs compagnons dans le lit du torrent.

Le Nil-Bleu, qui est le grand canal du sud-ouest de l’Abyssinie, présente les mêmes phénomènes avec cette différence qu’il conserve pendant la saison sèche un courant d’une eau limpide qui réfléchit l’azur du ciel ; de là le nom de Bahr-el-Azrek, la rivière bleue, que les Arabes lui ont donné en opposition à la couleur blanche des eaux du Nil supérieur, qu’ils appellent Bahr-el-Abiad. M. Baker resta juste une année à étudier tout à la fois l’arabe et l’hydrographie de l’Abyssinie dans ses rapports avec les phénomènes du Nil égyptien, et le 11 juin 1862 il rentrait à Karthoum.

Karthoum, située au confluent des deux Nils, sous le 15° 29′ de