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secret de son génie d’écrivain. Il avait une théorie sur le style qui répond bien à la nature de son esprit. « Le style, disait-il, c’est le mouvement. » Ce qu’il appréciait le plus dans les grands écrivains, c’était la tournure, l’allure de la phrase, plus que la perfection de détail. Il voulait que l’entraînement de la pensée, le torrent intérieur passât dans la parole. Son style était bien l’expression de cette théorie. La force et le mouvement continu, la grande et fière allure en étaient les caractères les plus frappans. Il écrivait en orateur, comme quelqu’un qui a toujours devant lui un adversaire à persuader ou à subjuguer. Je puis donner quelques détails sur sa manière de composer : il écrivait presque toujours en dictant, et il dictait en marchant, tant l’art d’écrire était pour lui identique à l’art de parler. Il dictait avec abondance sans se corriger, uniquement attentif à conserver l’entrain et le courant de sa pensée ; mais, par un second travail fait à tête reposée, il reprenait ce qu’il avait dicté, et alors il retranchait l’inutile, le superflu, le lâche, l’incertain : dans ce second travail, il était d’une extrême sévérité et ne reculait devant aucun sacrifice. Par ce double procédé de composition, il atteignait à un style qui était à la fois entraînant et précis, qui avait le mouvement de l’improvisation et la fermeté de la réflexion, un style ardent et sobre en même temps, d’un ton un peu trop élevé quelquefois et qui n’avait pas toujours assez de nuances, mais d’une solidité et d’un éclat de toute beauté.

Rien n’était plus intéressant que d’assister au travail intérieur de cet illustre artiste, D’autres attendent l’inspiration ; lui, il la commandait. Combien de fois ne nous arrive-t-il pas à nous autres, humbles écrivains, lorsque la plume ne marche pas à notre gré, lorsque la verve manque, de laisser là le travail et d’attendre une meilleure heure ! Il n’en était pas ainsi de M. Cousin : il ne voulait pas être l’esclave de sa muse, il voulait la gouverner. Bien souvent je l’ai vu cherchant avec peine et labeur, tâtonnant, s’irritant, ne trouvant rien. Jamais il n’abandonnait la partie, jamais il ne remettait à un autre jour : il ne se retirait qu’après avoir vaincu ; son principe était qu’on ne doit jamais quitter son travail que satisfait. C’était surtout dans l’art du détail qu’il fallait admirer cette plume merveilleuse. Nul mieux que lui, parmi les écrivains de nos jours, ne savait manier la longue phrase, l’une des grandes beautés, mais aussi l’une des plus grandes difficultés de notre prose. Il savait la lancer, la prolonger, la suspendre, la reprendre et la faire tomber à temps d’une chute solennelle et harmonieuse. Plus tard il s’essaya à la phrase courte, autre difficulté, autre écueil, et il y réussit parfaitement bien. Il était trop fin connaisseur pour ne pas savoir qu’il y avait trop d’art dans sa manière d’écrire : aussi sa dernière