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bornerai à relever celles que je trouve dans une seule page et presque dans un seul paragraphe. Il commence à la page 90 par nous apprendre, à notre grande surprise, que le mot cycle est moderne : on pensait généralement qu’il avait été employé par Horace, par les Alexandrins et même par Aristote. Notre étonnement redouble quand nous l’entendons dire à propos des cycles anciens : « J’en découvre un autour de ce grand type de l’humanité, de Prométhée qu’on enchaîne, et qu’un dieu délivrera. » C’est en effet une découverte et personne ne s’en était avisé jusqu’ici, pas même M. Welcker, qui a écrit un gros ouvrage sur ce sujet. Il ajoute : « Je ne parle pas du cycle national de la résistance aux Perses. » Il fait bien de n’en pas parler, à moins qu’il ne l’ait découvert aussi comme celui de Prométhée[1]. Évidemment M. Gautier n’est pas là sur son terrain ; il marche au hasard dans un pays qu’il ignore. C’est seulement lorsqu’il parle du moyen âge que ses informations sont sûres et que son livre redevient utile.

Je vais y puiser abondamment, aussi bien que dans l’Histoire poétique de Charlemagne, pour l’étude que je compte faire. Mon intention n’est pas de suivre les deux auteurs dans l’examen des points particuliers qu’ils traitent. Il faudrait être plus compétent que je ne le suis pour prétendre les juger. Je ne connais de cette ancienne poésie que ce qu’ils ont bien voulu m’en apprendre. Je me bornerai donc à la question générale de l’épopée ; mon dessein est de chercher ce que nous enseignent les faits nouveaux qu’ils ont découverts et mis en lumière sur la formation et les lois de la poésie épique.


I

Ils nous enseignent d’abord, à notre grande surprise, que la séparation des genres en littérature a des fondemens plus solides qu’on ne le croyait. On a souvent accusé les rhéteurs d’avoir élevé ces barrières dans le libre domaine de la poésie. C’est bien à tort, et, avant qu’aucun rhéteur ne songe à naître, il se trouve que ces genres existent, qu’ils ont déjà des caractères tranchés, et qu’ils se succèdent partout dans le même ordre. Il n’y a donc rien d’arbitraire dans ces divisions ; elles n’ont pas vu le jour, comme on le pensait, dans un traité de critique ; il n’est même pas exact de dire qu’elles reposent seulement sur des raisons de goût. Leur origine est

  1. Non-seulement M. Gautier ne me semble pas connaître assez l’antiquité dont il va parler, mais Je ne trouve pas qu’il choisisse bien les gens qui pourraient le renseigner sur elle. A propos d’Homère, il cite avec admiration un jugement qui se termine par ces mots : « Homère est le poète de la constatation. » Cette belle phrase est tirée d’un ouvrage sur le style,