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le devoir. Telle fut la fin de ce complot, dans lequel on avait arrêté de tuer le voyageur anglais et d’abandonner sa femme dans une jungle. Quelques jours après, ce même Bilhaal et deux autres s’enfuirent avec leurs armes et rallièrent la troupe de Mohammed-Her. Quand on vint l’apprendre à Baker, il répondit par une imprécation arabe : « Inshallah ! que les vautours rongent leurs os ! »

Le 13 avril 1863, le voyageur arrivait à Tarangulé, capitale du Latouka et station commerciale d’Ibrahim. Cette ville, qui pouvait renfermer au moins trois mille habitations de nègres, est située sous le 4° 30′ de latitude nord et le 30° 35′ de longitude est. Comme toutes les villes et villages de ces contrées, Tarangulé est entouré de palissades construites avec du babanoum, le bois le plus dur du pays. Autour de ces palissades circule une haie d’épines impénétrable qui s’élève jusqu’à vingt pieds de haut. Les entrées sont en forme d’arches et ressemblent à des couloirs en zigzag dans lesquels il est dangereux à un ennemi de s’aventurer. On les ferme la nuit avec de grosses branches de mimosas, dont les épines peuvent arrêter le plus intrépide. La rue principale de la ville est large, mais toutes celles qui s’en détachent à droite et à gauche et pénètrent dans le dédale des maisons n’ont que juste la largeur nécessaire pour qu’une vache puisse y passer. Les parcs des bestiaux sont placés à égale distance les uns des autres et palissades. Les entrées sont également cintrées et n’ont que trois pieds de large. Sous cette voûte est suspendue une cloche faite de la coquille sonore d’une noix de palmier ; elle est assez basse pour que l’animal la touche en passant. C’est ainsi que les gardiens comptent leurs troupeaux et s’assurent qu’aucune bête ne s’est égarée. On y allume des feux toutes les nuits pour chasser les moustiques. Des buttes hautes d’une trentaine de pieds dominent la ville et les campagnes d’alentour, véritables beffrois où des sentinelles montent la garde nuit et jour pour donner l’alarme en cas de danger.

Les habitans du Latouka sont grands, bien faits, et offrent des traits qui ne se retrouvent pas chez les tribus du Nil-Blanc. Ils ont le front haut, les yeux grands et bien espacés, la bouche moyenne, les lèvres pleines sans être grosses, et l’ensemble de leur personne dénote une origine éthiopienne ou gallas. Le type nègre domine sans mélange du 12" de latitude nord jusqu’au 4° 30′ ; mais à partir de cette dernière limite on pénètre dans une nouvelle zone ethnographique.

Baker n’était pas encore entré dans la ville qu’une foule considérable entourait déjà sa petite caravane. La curiosité des indigènes était surexcitée au plus haut point par la vue des chameaux et d’une femme blanche. Jamais des êtres de cette espèce n’avaient pénétré dans ces régions. Les hommes fixèrent plus particulièrement