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ces grandes vues sont passées dans ses paysages. Je ne cherche pas si d’Azeglio a été un grand peintre ; c’était à coup sûr un artiste habile et ingénieux, ayant le sens du beau, un goût du naturel et du vrai bien différent du réalisme contemporain, et les tableaux qu’il a multipliés se sont répandus dans toute l’Italie. Une partie de ses ouvrages était exposée l’an dernier à Turin.

C’était du reste le trait distinctif de Massimo d’Azeglio d’être l’esprit le moins spécial du monde. Il avait sans effort le goût de tous les arts, et sous ce rapport il ressemblait à ces vieux artistes italiens qui tenaient le pinceau ou la plume et même quelquefois l’épée. Il était peintre comme il était musicien, comme il devenait écrivain, et c’est même par la peinture qu’il arrivait au roman. Un jour, voulant faire un tableau où il pût reproduire quelque épisode de la vie nationale, il choisit le défi de Barletta, ce combat singulier d’autrefois entre Italiens et Français ; il avait déjà fait à demi son tableau lorsqu’il se mit tout à coup à songer que « pour mettre le feu dans le corps aux Italiens, » comme il le disait, il serait mieux de raconter cet épisode que de le peindre. Ce fut l’origine du roman d’Ettore Fieramosca qui répandait bientôt son nom dans toute l’Italie ; mais alors il n’était plus à Rome, d’où il était parti sous le coup d’un de ces mécomptes de cœur qui deviennent quelquefois une comédie et qui changent tous les projets ; il était à Milan. C’est à peine s’il avait passé quelque temps à Turin dans cet intervalle où la révolution de 1830 venait exciter les esprits au-delà des Alpes, et où la petite ville piémontaise restait plus que jamais, avec son absolutisme étroit, ses mœurs ternes et sa vie stagnante, sous les influences jésuitiques. Massimo d’Azeglio avait passé sept ou huit ans à Rome ; il passa douze années à Milan, fixé, établi, marié même, ayant sa maison et ses intérêts. A Rome, il avait eu sous les yeux le gouvernement des prêtres ; à Milan, il avait les Allemands. Ce n’était pas de quoi séduire. Certes cette vie milanaise se ressentait de la domination étrangère. La jeunesse d’alors, quand elle ne s’affiliait pas aux sectes secrètes, se laissait trop Aller à son enthousiasme pour les danseuses, et s’endormait trop aisément dans une énervante oisiveté favorisée par l’Autriche ; mais on respirait malgré tout mieux qu’à Turin, on pouvait même parler, pourvu qu’on ne parlât pas trop fort. Les autorités autrichiennes elles-mêmes, qui n’étaient pas fâchées « de se faire un bon lit dans une ville sympathique, riche, grasse et joyeuse, » savaient au besoin émousser et amortir quelquefois les ordres qui arrivaient de Vienne. Et puis Milan était un des foyers littéraires de l’Italie. Elle se souvenait d’avoir eu Parini, Foscolo, Monti, Porta, Verri ; elle avait encore Manzoni, dont d’Azeglio devint le gendre, Torti, Litta,