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baïonnettes, au milieu des cris, de la fumée et du fracas, — ou bien rester dix ans, cinq ans, une année seulement dans une prison où l’esprit s’alanguit dans la tristesse du silence, de la solitude et de l’oubli, où le corps se débilite faute d’air et de mouvement, où l’ennui est si intense qu’un oiseau, un brin d’herbe deviennent des trésors pour le pauvre prisonnier ? Qu’on voie la différence entre la peine qu’on encourt pour avoir assailli un gouvernement — même illégal et tyrannique — et celle qui vous frappe lorsque votre seul crime est de ne pas vouloir renier votre propre droit, ni vous faire complice de la violation de ce droit. Dans le premier cas, il y a toujours quelqu’un qui vous taxe d’imprudence et de folie… Dans le second cas, l’intérêt, la pitié, l’honneur, tout est pour la victime ; l’indignation, l’infamie, toutes pour le bourreau. Que disait la vieille politique de nos pères ? Ne pas faire de martyrs : c’est donc la preuve qu’à un gouvernement injuste le martyre nuit plus que la révolte ! »

C’est pourquoi d’Azeglio considérait comme la nécessité première pour l’Italie de refaire sa trempe morale ; il demandait aux Italiens du caractère. Après cela, l’idéal définitif de d’Azeglio n’était point évidemment la douceur martyrisée et résignée d’un Silvio Pellico. Il comptait bien voir le jour où l’Italie aurait à se lever pour livrer son dernier combat ; mais ce combat, il ne le croyait possible et efficace que par les armes du soldat, par les forces organisées du pays, et c’est pourquoi encore il s’attachait dans ses romans à rallumer les sentimens virils, à évoquer de préférence les souvenirs militaires de la vie nationale, la mémoire d’un Ferruccio, C’est ce phénomène curieux d’un caractère droit et bien trempé perçant sous des talens multiples qui faisait à d’Azeglio une popularité croissante, popularité d’autant plus réelle qu’il était peut-être l’homme personnellement le plus connu dans toutes les parties de la péninsule à la fois, — à Florence comme à Rome, comme à Milan. De là cette autorité qu’il prenait le jour où se posait pour le libéralisme italien la question de la politique à suivre entre des échauffourées toujours renaissantes, toujours avortées, et un système nouveau d’action régulière, ostensible. Massimo d’Azeglio eut bientôt une preuve singulière de cette influence qu’il commençait à exercer Sans le savoir.

Il était à Rome en 1843, dans la pleine maturité de l’âge, « sentant, selon son expression, le besoin d’une grande occupation d’intelligence et de cœur. » L’Italie commençait à s’agiter de nouveau. La Romagne était toujours en fermentation. Le pape Grégoire XVI, déjà déclinant, pouvait mourir d’un instant à l’autre, et sa mort, en allant retentir à Bologne, pouvait devenir le signal d’une