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avait lancé des bandes de pillards sur les caravanes et réduit en esclavage plusieurs centaines de sujets russes ; mais la considération qui dominait toutes les autres, c’était le désir d’empêcher la Grande-Bretagne de s’établir dans l’Asie centrale. Perowski échoua cependant ; une partie de ses troupes périt dans les déserts qui entourent la mer d’Aral, le reste regagna Orenbourg à grand’peine, et Khiva garda son indépendance.

Instruit par ce revers, le cabinet de Saint-Pétersbourg résolut de diriger ses attaques sur un point plus vulnérable de la Tartarie, le khanat de Kokand, où nous verrons bientôt le succès couronner ses efforts. Cet état, situé au nord-est de la Boukharie et au sud de la grande steppe des Kirghiz, arrosé par les eaux du Syr-Daria, n’était pas d’une possession moins désirable que Khiva. Son vaste territoire doit aux montagnes qui l’abritent, aux rivières qui le sillonnent, une fertilité dont un gouvernement meilleur pourrait tirer de précieuses ressources ; mais des dissensions intestines fomentées sous main par les Russes, des guerres continuelles avec les khanats voisins désolent et appauvrissent le pays. La population n’a rien de l’esprit belliqueux qui caractérise les Boukhares ; quelques centaines d’hommes ont plus d’une fois suffi pour prendre de grandes villes, telles que Tachkend, Kokand, Chemkend, et les habitans, qui tirent leurs principales richesses du commerce de transit entre la Chine et Orenbourg, verraient avec moins de répugnance que les autres indigènes la civilisation européenne s’implanter au milieu d’eux, s’ils pouvaient jouir à ce prix d’une paix moins précaire et développer en sécurité leur industrie.

Enfin, à l’extrémité orientale du Turkestan, se trouve une contrée sur laquelle l’Europe possédait jusqu’ici bien peu d’informations précises. Depuis Marco-Polo et le jésuite Goez, un seul voyageur avait osé s’aventurer dans ces régions inhospitalières : c’est l’infortuné Adolphe Schlagintweit, qui paya de sa vie son audacieuse entreprise. Cet exemple ne découragea pas le zèle des explorateurs, et grâce aux travaux d’un officier russe, M. Valikhanof, nous possédons maintenant de précieuses données sur l’histoire et la situation politique de la Tartarie chinoise. A vrai dire, le choix de l’agent chargé par le gouvernement de Saint-Pétersbourg d’étudier un pays que convoite peut-être déjà sa prévoyante ambition était bien propre à préparer le succès de l’entreprise. M. Valikhanof, fils d’un sultan kirghiz et ne dans la steppe, parlant la langue, connaissant tous les usages des populations de l’Asie centrale, a pu tout observer sans craindre d’être pris pour un émissaire des Européens. Comme la Tartarie orientale est aujourd’hui limitrophe des nouvelles possessions russes, nous ne croyons pas sortir de