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approvisionnemens devaient donc être amenés de très loin aux forteresses moscovites, qui, placées au milieu d’une contrée inhospitalière, isolées les unes des autres par la steppe, ne pouvaient ni contenir les hordes avides de pillage, ni protéger les Kirghiz sujets ou alliés.

Confinée ainsi dans des régions ingrates, la Russie ambitionnait naturellement les riches et belles terres comprises entre la citadelle Perowski et la colonie de Vernoé. Aussitôt qu’elle eut réparé les pertes que lui avaient causées la guerre de Crimée, elle se mit à l’œuvre pour atteindre l’objet de son ambition. Une ligne de forteresses construites par le Kokand pour défendre ses frontières contre les incursions des maraudeurs s’étendait le long des chaînes Karatau et Boroldaï, dans une situation si favorable, qu’il eût fallu, pour ne pas s’en emparer, une modération dont le gouvernement de Saint-Pétersbourg use peu d’ordinaire. Toutes ces places fortes tombèrent l’une après l’autre au pouvoir des Russes, mais cette position ne les satisfaisait point encore ; elle ne leur fournissait pas une quantité suffisante de vivres et de fourrages, elle se trouvait trop près du désert et ne facilitait pas assez les communications. Mettant donc de côté tout scrupule, ils s’avancèrent le long du Syr-Daria jusqu’à la ville de Turkestan, qui formait à l’ouest le principal boulevard des Kokandiens. Cette place, que les souvenirs religieux qui s’y rattachent aussi bien que sa position rendaient fort importante aux yeux des habitans, fut prise vers le commencement de 1864. Chemkend ne tarda pas à subir le même sort : située dans l’intérieur du pays, à trente lieues environ de la frontière, elle avait été fortifiée par les indigènes, qui de là dirigeaient de continuelles escarmouches sur les avant-postes européens. En repoussant une de ces attaques, les Russes furent amenés jusque dans la ville, dont ils n’avaient pas d’abord, s’il faut les croire, l’intention de s’emparer. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle conquête leur ouvrait un des plus riches districts du Kokand, et le journal officiel de l’empire, l’Invalide, dissimulait assez mal sa joie de voir les troupes établies dans une province qui est « le grenier de toute la contrée entre le Tchou et le Syr-Daria. »

Ainsi, après avoir patiemment préparé ses voies, s’être solidement assise à l’est et à l’ouest dans des pays faciles à conquérir, la Russie, démasquant ses projets, cherchait à unir ses deux lignes stratégiques par l’annexion d’une partie des états ozbegs. Elle devait de ce côté s’attendre à une longue lutte, car elle allait se trouver aux prises avec des nations vivaces ; mais, s’appuyant à droite sur les citadelles de l’Iaxarte et à gauche sur celle de Vernoé, elle étreignait les khanats avec une force irrésistible.