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d’avoir essayé quelque chose, et qui trouve moins honteux de se faire battre que de ne pas se battre du tout.

La nuit du mardi 5 mars au mercredi 6, le soulèvement eut donc lieu à la fois à Dublin et dans les environs, à Drogheda, à Cork, dans quelques parties du Limerick, dans la portion du Tipperary qui est au nord des Galtees (le Golden-Vale et le Glen of Aherloe) et au sud des mêmes montagnes, entre Mallow et Youghal, le Black-Water et le Lee. Sur cette étendue d’une longueur de soixante-dix lieues et d’une largeur de vingt ou trente à certaines places, une quarantaine de postes de police furent attaqués, et trois ou quatre rassemblemens considérables se formèrent, sans qu’aucun poste de plus de cinq hommes ait été pris, sans qu’aucun rassemblement ait jamais attendu l’approche d’une troupe quelconque. On a vu des bandes d’insurgés se former tout à coup et soudainement disparaître, et l’on s’est demandé si la rébellion était réelle ou imaginaire. Rien de plus simple pour qui connaît l’Irlande. Une partie de la population de la campagne y est toujours prête au soulèvement, et chacun sait que, s’il n’est pas pris les armes à la main, il n’a rien à craindre ; personne ne portera témoignage contre lui. Tout propriétaire ou fermier a donc été, pendant plus d’une semaine, sans savoir s’il se trouvait au milieu d’une population paisible, ou si, dans une heure, il ne serait pas attaqué par une foule insurgée. Faut-il entrer dans les détails ? Il répugne de tomber sur le faible et sur le vaincu. Que pouvaient faire ces malheureux quand neuf de leurs chefs de hasard, armés chacun d’un revolver, se sont laissé mettre des menottes et traîner en prison par quatre hommes de police ? Disons-le, car c’est une des causes de cette déroute étrange, on appelait Irlandais américain tout Irlandais ayant passé quelques jours en Amérique, et général quiconque portait un revolver.

Je me demande ce qu’ont voulu faire les fenians, et je ne trouve pas de réponse. Si leur plan était, comme on l’a prétendu pour eux, d’emporter les postes isolés, de paraître et de disparaître sans cesse pour harasser les troupes, alors pourquoi jeter leurs armes en se retirant ? alors surtout pourquoi ce rassemblement à Tallaght, à deux lieues de Dublin, à deux heures de marche du quartier-général de l’armée anglaise ? On voulait y réunir un grand nombre d’hommes, puisque, indépendamment des divers détachemens mis successivement en fuite par le sous-inspecteur de police Burke, plusieurs contingens qui ne rencontrèrent pas au rendez-vous le chef qu’ils devaient y trouver retournèrent chez eux. Une attaque sur Dublin avait été évidemment projetée. Pourquoi aussi un autre rassemblement campe-t-il tout un jour entre Tipperary et Thomas-town sur un de ces tertres de gazon qu’on appelle forts en Irlande.