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sépare le propriétaire du cultivateur, et fait du citoyen l’ennemi de l’état. Pourquoi ne pas diminuer un pouvoir excessif en reconnaissant un droit incontestable ? Si l’on admet avec sir Robert Peel que la moyenne de la contribution remise volontairement au clergé catholique dans chaque paroisse d’Irlande est de 6,000 francs, on sent quelle perturbation économique doit produire une semblable contribution, payée presque uniquement par la classe la plus pauvre. Il n’est pas une commune de France qui ne fût plongée dans la misère, si une somme de même valeur devait être annuellement prélevée sur la partie de la population qui ne paie pas la cote mobilière. Le clergé irlandais, il est vrai, a refusé la proposition de sir Robert Peel, qui lui offrait le minimum de 6,000 francs pour chaque prêtre de paroisse. On ne saurait l’en blâmer, car du jour où il aurait été le pensionné de l’Angleterre, il aurait perdu, avec son pouvoir social et politique, une partie de son autorité religieuse. Ce refus même aurait dû avertir le gouvernement et le conduire à une proposition que le clergé catholique ne peut rejeter : la restitution pure et simple de ses biens, ou, pour parler avec plus de précision, le partage des biens ecclésiastiques suivant le nombre de fidèles de chaque croyance. Un seul argument a été opposé, celui-ci : si les catholiques forment la majorité en Irlande, ils sont la minorité dans le royaume-uni, et le clergé anglican d’Irlande fait partie de « l’église établie » d’Angleterre. Pourquoi cependant le même principe ne s’applique-t-il pas à l’Écosse ? — Parce que, dit-on, l’Écosse s’est volontairement unie à l’Angleterre, tandis que l’Irlande a été conquise ! — Toujours revient cette idée de conquête ; et c’est elle qui rend l’Irlande ingouvernable. À cet égard, les plus grands esprits se font les interprètes des préjugés les plus vulgaires. Le premier des historiens modernes de l’Angleterre, celui qui réunit à un si haut degré des qualités si diverses, l’art de la composition, l’aisance dans l’érudition, la grâce du langage, la clarté, le pathétique, le sarcasme, Macaulay, perd son jugement lorsqu’il parle de l’Irlande. Il proclame que le droit des races est supérieur à celui des individus. Il approuve la dépossession en masse des propriétaires du sol, et il appelle cette barbarie qui enfantera plus tard les lois pénales, « un moyen dur, mais efficace, de pacifier un pays. » Étonnez-vous ensuite d’entendre l’écho répéter sur les bruyères de l’Irlande : Si tu as du cœur, sois un rebelle !

Jules de Lasteyrie.