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qu’elle apparaît désormais au-delà des Alpes, en est arrivée, au point où elle ne peut plus être indéfiniment ajournée, où entre l’église et l’état il y a un dernier acte nécessaire, une véritable liquidation de droits, d’intérêts, de prérogatives, une sorte de grande liquidation morale, politique autant que matérielle. Ce n’est pas le déclin de toute action religieuse, ce n’est pas la mort de l’église catholique ; c’est plutôt pour elle après tout le point de départ d’une transformation semblable à tant d’autres transformations où elle n’a pas succombé, par lesquelles elle s’adapte de siècle en siècle à la marche des choses. C’est le commencement d’un ordre nouveau qui s’inaugure laborieusement, péniblement, au milieu des contradictions et des luttes, et c’est aussi la fin d’un ordre ancien qui a eu son éclat, ses grandeurs, sa poésie, dont la marque est empreinte dans toute la civilisation italienne, qui même en disparaissant fait sentir encore sa puissance, ne fût-ce que par les embarras qu’il laisse après lui, ne fût-ce que par ce prestige que garde toujours une vieille et forte institution. De là ce qu’il y a de complexe, de dramatique, dans cette question religieuse où le passé et le présent se retrouvent face à face. Le présent, c’est tout ce travail d’idées, d’instincts modernes conduisant à une révolution dans les rapports de l’état et de l’église ; le passé, c’est cette vie ecclésiastique « dont M. Alphonse Dantier retrace un des épisodes dans son livre des Monastères bénédictins d’Italie, œuvre d’histoire et d’art, de science et de description pittoresque, où l’auteur, avec le zèle d’un antiquaire, d’un croyant éclairé et d’un voyageur, semble vouloir ressaisir encore une fois cette mélancolie souveraine qui s’exhale des vieux cloîtres.

Je ne m’étonne pas du sentiment qui a inspiré à l’auteur des Monastères bénédictins d’Italie cette savante et sympathique évocation de tout un passé déjà plus qu’à demi submergé par le flot montant de la vie contemporaine. Ce n’est pas le sentiment tout actuel des politiques, des économistes ou des financiers jetés par les événemens en face d’un problème désormais aussi difficile à éluder qu’à résoudre. C’est le sentiment de ceux qui se placent au point de vue de la religion, de l’histoire ou de l’art, de tous ceux qui en parcourant l’Italie ont foulé de leurs pieds les seuils poudreux et usés de ces grandes abbayes, de ces vieilles demeures claustrales, que les moines du bon vieux temps savaient si bien placer dans les solitudes alpestres ou au sommet des montagnes, et qui, même après avoir cessé d’être des foyers de lumières ou de sainteté, restent encore une magnifique décoration de, pierre et de marbre : — la poétique Vallombreuse perdue dans ses épais et verdoyans massifs de sapins près de Florence, Vallombreuse que Milton et Lamartine ont chantée, que l’Arioste appelait « riche et