Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/1019

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Dantier s’est fait l’historien, qui, après avoir eu l’action la plus décisive, est restée la plus savante, la plus éclairée, même la plus libérale d’esprit, dans sa haute solitude du Mont-Cassin.

Lorsqu’on va de Rome à Naples ou de Naples à Rome, non par l’ancienne route de Terracine, mais par Ceprano, où passe aujourd’hui le chemin de fer, le Mont-Cassin est une sorte de halte traditionnelle entre le Latium et la Grande-Grèce, auprès de la petite ville de San-Germano. Il a pris son nom de la montagne au sommet ; de laquelle il a été fondé, il y a treize cents ans, par le premier législateur de l’institution monastique, et où il reste encore comme la maison type avec son auréole de souvenirs et de légendes. Un jour du VIe siècle, un jeune homme d’une famille sénatoriale de l’Ombrie, qui avait reçu le nom de Benoît, s’était retiré, comme bien d’autres en ce temps-là, aux environs de Rome, à Subiaco, non loin des restes de la villa de Néron. Il était allé ensevelir une jeunesse pure et ses ardentes austérités de néophyte dans ces lieux mêmes qui avaient été témoins des orgies impériales. Il y passa trente ans seul, vivant dans une grotte qu’on visite encore, recevant à peine quelque nourriture qu’on lui portait, subjuguant par sa sainteté les moines qui commençaient à se grouper sans loi et sans règle dans les solitudes de Subiaco. Ces moines, qui voulurent le prendre pour supérieur, n’avaient, à ce qu’il paraît, rien d’édifiant ni d’ascétique : ils essayèrent de l’empoisonner. Ces étranges chrétiens, fort difficiles à manier, imaginèrent un jour de tenter la vertu des disciples préférés de Benoît en faisant paraître devant eux sept jeunes filles nues aux attitudes lascives. Le fils d’Euprobus l’Ombrien, l’athlète éprouvé de l’ascétisme, Benoît, partit alors avec deux de ses compagnons, Maur et Placide, qui étaient comme lui nés de riches familles patriciennes. Il s’engagea à travers les gorges de l’Apennin, sans savoir où il allait, descendant du Latium vers le midi, conduit, au dire naïf de la légende, par deux anges ou par deux oiseaux dont le vol lui indiquait la route à suivre. Il arriva enfin à une petite ville municipale, tout adonnée encore au paganisme et campée au pied d’une montagne, sorte de contre-fort de l’Apennin s’avançant dans la plaine arrosée par le Liris, qui est aujourd’hui le Garigliano. Sur le plateau le plus élevé de la montagne, il y avait un temple d’Apollon, et tout auprès un bois dédié à Vénus. Le site était merveilleux. De là on apercevait la fertile Campanie s’étendant entre les montagnes et la mer, — Arpinum, la patrie de Cicéron, — les ombrages de la villa de Terentius Varron ; du côté du nord, sur une pente de l’Apennin, la ville d’Aquinum, où était né Juvénal et où devait naître saint Thomas ; du côté, opposé, à l’extrémité de l’horizon, les flots bleus et étincelans du golfe méditerranéen où s’est élevé Gaëte. Le site n’était pas indifférent pour ces