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races royales. Le futur césar remplissait dans les cérémonies solennelles l’office de lecteur, et du haut de l’estrade qui faisait face au peuple lisait à haute voix les textes sacrés. On conduisait dévotement les deux frères aux tombeaux de tous les martyrs. Si dans les exercices religieux on ne remarqua jamais chez Julien de la tiédeur ou de la répugnance, on pouvait néanmoins s’étonner de quelques faits qui depuis ont paru significatifs. Son frère et lui ayant voulu bàtir en commun une église sur le tombeau d’un martyr, la construction de l’aile dont Julien s’était chargé fut toujours entravée pour un motif ou pour un autre, et resta inachevée. « Il semblait, dit M. de Broglie, que Dieu refusât ses offrandes. » Ne serait-il pas plus vrai de dire que dans ces sortes d’offrandes Julien mettait peu de bonne grâce et de diligence? De même dans les exercices de rhétorique qu’on faisait composer aux deux jeunes gens, Julien prenait toujours le rôle d’avocat du paganisme, et dans ce jeu d’esprit il mettait une curieuse obstination à ne pas se laisser battre. Souvent aussi, dans les ennuis de sa solitude, on l’avait surpris contemplant avec une admiration inquiétante les splendeurs d’un beau jour ou d’une nuit étoilée, et son ardent enthousiasme semblait annoncer déjà le futur adorateur des astres et du dieu soleil. Cette vie solitaire et captive, sans amis, cet espionnage respectueux, mais visible, ces règles d’abstinence, cet enseignement religieux forcé, toute cette contrainte, en refoulant sans cesse cette jeune âme sur elle-même, devait lui donner une force singulière. Cette imagination, échauffée par la méditation et qui ne pouvait se répandre, garda et accumula tous ses feux. Comme il est vrai de dire, selon le mot du prophète, que l’iniquité est toujours prise dans ses propres filets! Cette éducation, qui paraissait si prudente à Constance, qui devait éteindre le jeune homme, était la mieux faite pour l’exalter et lui donner le goût des libres pensées. Quand il sortit de sa prison, il avait l’esprit assez impatient du joug pour détester la foi qu’on lui avait apprise, et assez de science chrétienne pour combattre ce qu’il détestait. Son oppresseur ne pouvait pas mieux s’y prendre pour lui inspirer la haine du christianisme, et pour donner à cette haine des armes aiguisées.

A peine sorti de sa réclusion, mais non tout à fait libre, car l’œil jaloux de Constance ne le perdait pas de vue, il se porta du côté où l’entraînaient ses instincts et ses goûts, vers la littérature et la philosophie profanes. Déjà dans sa première enfance son livre favori était Homère. Il se plongea dans l’étude des grands écrivains classiques de Rome et surtout de la Grèce, sans plus se souvenir des maîtres de la chaire chrétienne. Il fréquenta les écoles des sophistes comme un simple étudiant, et ne se distingua de ses compagnons que par son esprit et son ardeur d’apprendre. Heureuse et pru-