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dente modestie qui certainement lui sauva la vie, car son frère Gallus, soupçonné d’ambition, sera bientôt assassiné à son tour! Toujours surveillé par les créatures de Constance chargées de rendre compte de toutes ses démarches et même de s’assurer s’il donne des marques extérieures de foi chrétienne, Julien ne tarde pas à être renvoyé de Constantinople, où il faisait ses études, parce que la faveur publique semble fonder sur lui de lointaines espérances et saluer d’avance un nouveau Marc-Aurèle. Il est interné à Nicomédie, mais à la condition qu’il ne verra pas le célèbre orateur païen Libanius, la merveille de cette ville. Julien promet, reste fidèle à la lettre de son engagement, ne voit pas le sophiste, mais s’enivre de son éloquence écrite. Malheureusement il est mis en rapport avec Maxime d’Éphèse, il subit le charme de ce grand initiateur théurgique, se fait instruire dans ces sombres mystères qui offraient un attrait à son esprit mélancolique et une pâture à son âme avide de foi. Il se hasarde à prendre la robe des philosophes, et, selon la mode du temps, laisse pousser sa barbe, quand, sur un signe venu de la cour, le voilà de nouveau obligé de reparaître à l’église, rasé, vêtu en moine, et de redevenir comme dans son enfance lecteur public des saintes Écritures. Tout à coup il apprend que son frère a été tué par l’ordre de Constance et que lui-même est mandé à la cour. Il y va porter sa vie précaire, qu’un mot impérial peut trancher. Éconduit, repoussé par les eunuques du palais, à demi captif pendant six mois, sous l’œil des gardes qui ne le perdaient pas de vue, il se trouve que par une étrange rencontre ce contempteur du christianisme se promenait tous les jours devant la basilique où était réuni le concile arien qui condamnait les orthodoxes. Il entendit les échos de ses débats, avec quelles pensées, M. de Broglie nous le dit en beau langage. « La mémoire toute nourrie des dédains de Tacite et de Cicéron, que n’avait-il pas senti, que n’avait-il pas souffert en voyant ainsi la majesté romaine compromise dans les déchiremens d’une secte juive! De quel œil méprisant avait-il lu sur les murailles l’édit impérial contre Athanase, mélange de dialectique subtile et de brutalité arrogante signé d’une main parricide! Combien de fois, en levant les yeux vers le ciel, avait-il vu se dresser entre le Dieu de Constance et lui l’image sanglante d’un père qu’il n’avait pas connu et d’un frère qu’il n’osait pleurer! » Où trouver ailleurs dans l’histoire un prince ardent, généreux, spirituel, soumis à une oppression plus inepte et plus cruelle, à de plus intolérables injures, qui n’est en possession ni de sa vie, ni de son âme, ni de son esprit, auquel on fait sentir qu’il ne doit vivre, penser que selon un caprice d’en haut? Misère de tous les instans qu’on ne peut raconter dans le détail, qu’il suffit de se figurer, et qui arrachait au malheureux