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sanglante bataille à l’empire, et Julien, seul maître du monde, put entrer à Constantinople avec la fière pensée que ses dieux cette fois étaient vainqueurs, et qu’il allait devenir leur ministre sur la terre.

Nous n’avons pas dessein de raconter ce règne si court, si connu, et dont on pourrait deviner les caractères, tant les réactions politiques sont toujours les mêmes. Avons-nous besoin de dire que les lettrés, les sophistes, les philosophes accoururent autour de Julien, comme autrefois à la cour de Constantin et de Constance affluaient les évêques et les théologiens? Au-dessous des courtisans accoutumés à tourner avec grâce leur aile au vent de la fortune, et pour qui un changement de religion ne paraissait que l’obligation décente d’une situation nouvelle, le peuple était si fatigué de querelles religieuses, si incertain, si troublé, qu’il ne vit pas sans plaisir changer la face des choses. L’armée était heureuse de voir un tel général maître de ses destinées. Des chrétiens sincères et fervens craignaient moins une persécution païenne qu’ils ne détestaient la tyrannie théologique de Constance. Les orthodoxes se réjouissaient de voir tomber la puissance arienne. Jamais si grand changement ne se fit plus naturellement et avec plus de douceur. Le monde d’abord ne fut pas trop étonné de se réveiller païen; pour tout dire, Julien faisait son entrée à Constantinople au milieu de la joie universelle, et venait relever le paganisme à la tête d’une armée presque entièrement chrétienne.

Durant ce règne, qui ne dura pas deux ans et qui fut si rempli, M. de Broglie suit Julien pas à pas, le tient sous son œil vigilant et sévère comme un accusé déjà condamné d’avance auquel on doit la stricte justice, mais rien de plus. N’est-il pas à craindre que l’historien, en voulant n’être que juste, devienne dur, et même qu’il ne découvre partout des mystères de perversité? Pour nous, nous sommes au contraire frappé des bonnes intentions du nouvel empereur, de sa droiture et de sa franchise si contestée. Si dès les premiers jours Julien introduit timidement un sacrifice païen dans la cérémonie des funérailles du chrétien Constance, ce n’est point à nos yeux un détour de la dissimulation qui n’ose déclarer ses sentimens, c’est une réserve décente en pareille circonstance, car dès le lendemain on voit le restaurateur du paganisme, devant ses autels improvisés à la hâte, porter lui-même le bois des sacrifices, aller, venir, courir avec trop peu de respect humain vraiment, « comme le meilleur des prêtres, » dit Libanius, et, il faut en convenir, avec moins de dignité qu’il ne sied à un souverain pontife. Loin de se montrer dissimulé, il ne contient point assez son zèle pieux. De même M. de Broglie soupçonne toujours de l’hypocrisie dans ses déclarations de tolérance religieuse. Pourquoi donc mettre en doute la sincérité de cette belle pensée exprimée en termes si