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congédie, aux applaudissemens de toute la foule, l’armée des parasites qui remplissait le palais de Constance, les chambellans, les cuisiniers, les barbiers, qui avaient les traitemens des plus hauts fonctionnaires, xM. de Broglie devine que dans le nombre il y avait des chrétiens qu’on était heureux d’éliminer. S’il supprime les innombrables officiers de la police, les curieux, s’il diminue les contributions locales, s’il prévient l’établissement de nouvelles charges, .c’est qu’il met, nous dit-on, son ostentation à paraître se confier à l’amour de ses peuples. Si encore, sur les justes demandes de l’opinion, il soulage la misère publique, alors navrante, en mettant fin à l’abus des immunités et des voitures publiques, c’est-à-dire au transport gratuit des personnes, qui ruinait les provinces, on ne manquera pas de dire qu’il a voulu satisfaire un secret ressentiment, parce que les privilégiés qui abusaient le plus de ces exemptions étaient les évêques et les prêtres, dont les continuels voyages à la cour et aux conciles avaient surtout, nous dit M. de Broglie lui-même, « mis les chevaux sur la litière ; » car le noble esprit de l’historien, tout en arrivant toujours à des conclusions sévères contre Julien, ne cache jamais la vérité, même quand il lui coûte de la reconnaître. Il faut pourtant s’entendre sur ces faits et d’autres que nous passons sous silence. Les mesures de Julien sont-elles, oui ou non, d’un souverain ami du bien public ? sont-elles équitables, et si, comme on paraît le croire, elles sont justes, pourquoi donc faire toujours sur cette justice des réflexions déplaisantes qui pourraient avoir pour effet de mettre en doute la justice de l’historien ?

Si la critique n’avait pas pour M. de Broglie plus de respect qu’il n’en montre lui-même pour Julien, elle pourrait aussi, en suivant l’historien pas à pas, relever une foule de petits jugemens accessoires où semble percer une hostilité méprisante. Nous n’en donnerons qu’un ou deux exemples. Lorsque Julien, assiégé de sophistes avides, de philosophes quémandeurs, de prétendus sages accourus pour solliciter des faveurs, afficha plus de simplicité pour faire honte à ces faux ministres de la sagesse, et donna au monde le bizarre spectacle d’un empereur vêtu en philosophe de l’école cynique, M. de Broglie met en note : « Cynique vient d’un mot grec qui signifie être chien. » Cette étymologie, du reste exacte, peut pourtant donner une idée fausse à ceux qui ignorent que le nom de cynique était porté par des hommes souvent vénérés, qui prêchaient la plus haute et la plus pure morale, qui faisaient profession de pauvreté, qui croyaient exercer un ministère sacré, et dont l’âme, disait Épictète, « devait être plus pure que le soleil. » Le philosophe cynique n’était autre, sous une forme païenne, que le moine mendiant