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pour en éteindre au moins quelques rayons sous le ridicule. C’est la vengeance de petits esprits contre tout ce qui est grand. De là aussi ces sentences dures, hautaines, implacables, prononcées du haut d’un puritanisme qui se guindé. C’est la vengeance de certains orgueils austères qui, de leur autorité privée, ont pris parmi leurs contemporains la charge de grands-juges et se sont attribué dès le temps présent la mission de la postérité. — De là enfin ces oracles d’une équivoque impartialité qui laissent lire entre chaque ligne de l’éloge funèbre un sous-entendu railleur, une allusion sans pitié, ou bien encore cette critique dont j’admirerais le froid dédain, si elle remplaçait ce qu’elle détruit, et qui applique les formes du dogmatisme le plus étroit et le plus hautain à la démonstration de la vanité des dogmes en philosophie. C’est la vengeance des sceptiques et leur revanche contre la longue domination de doctrines détestées. — A voir un pareil concours d’écrivains sans illusion, si empressés à exposer au jour les misères secrètes de l’homme ou les défaillances du talent, il semble que chacun d’eux n’ait rien de plus à cœur que de bien montrer qu’il n’est pas dupe, que l’attendrissement de la foule n’est pas contagieux pour les gens d’esprit, et que le privilège de la critique est de garder son sang-froid, même devant une tombe illustre. Quand cette preuve sera faite, où sera l’avantage? Qu’y aura-t-on gagné? Une chose seulement : on aura tué le respect en France, ce respect qui survivait à tant d’illusions détruites, le respect du talent. Le beau profit! et combien les écrivains qui conspirent en faveur de ce résultat auront lieu de s’en applaudir! Qu’on y prenne garde, ceux-là mêmes qui ont été les premiers chefs et les instigateurs de cette révolution dans nos mœurs littéraires pourront un jour en devenir les victimes. La justice de l’opinion a de terribles clairvoyances, et se plaît parfois à des représailles sévères.

Dans ces manifestations de la critique frivole ou passionnée, je vois un signe non équivoque des dispositions du public littéraire, de plus en plus ennemi des aristocraties intellectuelles, ombrageux à l’égard de tout ce qui s’élève au-dessus du niveau commun. Il semble que ces supériorités inquiètent cet amour de l’égalité qu’on n’avait pas encore vu régner dans les lettres avec ce zèle farouche. Combien de petits intérêts froissés et de misérables rancunes, combien de vanités alarmées et de jalousies littéraires entrent dans ces dispositions des esprits, je ne veux pas le savoir. J’aime à me faire cette illusion qu’au fond de ce mouvement très vif d’opinion contre toute autorité de doctrine ou de talent il n’y a rien que le culte austère de l’indépendance de la pensée, que l’on craint de voir menacée par la tyrannie des grandes intelligences. Je veux croire que ce scepticisme à l’égard de la gloire