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pareil instrument entre les mains d’un prince et d’un ministre qui ne connaissaient pas de frein à leur volonté, quel usage et quel abus ils en firent.

Leur première entreprise importante fut la guerre de Hollande. Louvois dirigeait déjà depuis dix ans le ministère de la guerre, lors- que le 17 février 1672 il remit au roi un état détaillé dont le total montait à 91,000 fantassins, 28,000 cavaliers et 97 bouches à feu; c’était la situation d’une armée toute réunie, largement approvisionnée, prête à marcher et à combattre. Quelques jours plus tard, cette masse imposante était en route. Par une heureuse combinaison de l’administration et de la politique, elle trouvait ses étapes, ses magasins préparés à l’avance; jamais encore on n’avait vu un pareil déploiement de force et d’habileté. Bientôt la Hollande, envahie, vaincue, demande la paix, offre des conditions qui dépassent les rêves patriotiques de Henri IV ou de Richelieu; mais le même orgueil, les mêmes passions enflamment le roi et son ministre; ils se comprirent trop bien : l’un conseilla, l’autre décida de rejeter toute proposition. C’était l’inauguration de la politique à outrance qui sous d’autres chefs devait nous être un jour si fatale. Cette fois le châtiment fut moins terrible, mais la leçon fut sévère et promptement donnée. Les Hollandais se relevèrent par un sacrifice héroïque; nos troupes, ayant à lutter contre les eaux, les hommes et les rigueurs de l’hiver, se retirèrent ruinées. L’Europe accourut au secours des opprimés aussitôt que ceux-ci eurent repoussé l’agresseur, et la France se trouva en face d’une coalition.

Elle n’était pas épuisée et fit tête à l’orage : elle fournit six campagnes, les plus belles peut-être de notre histoire, témoignage éclatant de la puissance des créations de Louvois. D’abord notre armée se concentre, se réorganise, se renforce. L’ennemi s’y méprend; il juge mal ce grand mouvement rétrograde. Les coalisés se croient déjà au cœur du royaume; déjà ils parlent d’aller traiter les dames à Versailles; ils ont une juste confiance dans leurs troupes, dans leurs généraux, Guillaume et Montecuculli. À ces grands hommes Louis XIV oppose des adversaires dignes d’eux, Condé et Turenne. L’un déjoue le gros dessein des alliés, tient longtemps le prince d’Orange en échec par la force d’une position bien choisie, puis le « prend en flagrant délit, » et le paralyse par la sanglante bataille de Senef. L’autre, opposé à l’un des plus froids calculateurs, à un les hommes les plus subtils qu’ait produits l’Italie, évente toutes les ruses, déjoue tous les pièges; prudent par tempérament et devenu audacieux par réflexion, il marche sans cesse, passant, repassant le Rhin et les Vosges, se couvrant tantôt du fleuve et tantôt des montagnes, gagnant bataille sur bataille et combat sur combat, Sinzheim, Entzheim, Mulhouse, Türckheim! Puis, quand ces deux