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sauf les sommets des montagnes qui se sont dégradés et ont diminué de hauteur avec le temps, le relief du sol sur lequel les glaciers se mouvaient n’a pas changé. Les stries sont toujours parallèles à la vallée; elles se redressent toujours en amont des rétrécissemens, les roches moutonnées ont conservé leurs formes arrondies, et les blocs erratiques sont restés suspendus sur les pentes ou perchés sur des piédestaux, là où le glacier les a déposés.

Pour expliquer l’ancienne extension des glaciers de la Suisse, M. Arnold Escher de la Linth a proposé une hypothèse qui a justement fixé l’attention des savans. Le vent, dit-il, qui fait disparaître les neiges en Suisse au printemps, est un vent de sud-est très chaud appelé le fœhn (Favonius des anciens). Quand le fœhn souffle, la neige fond avec une rapidité extraordinaire, et même se vaporise en partie sans passer par l’état liquide. Tant que le fœhn n’a pas soufflé, les Alpes restent blanches : dès qu’il a régné pendant quelques jours, les lianes des montagnes se dégarnissent; mais souvent aussi les fleuves qui descendent des hauteurs du Saint-Gothard, — le Rhin, le Rhône et le Tessin, — s’enflent, débordent et inondent la plaine. On admet généralement que le fœhn est engendré par le désert brûlant du Sahara; mais le Sahara est un fond de mer très récemment émergé, ses sables contiennent des coquilles vivant encore dans la Méditerranée, ses lacs sont salés, le sol lui-même est imprégné de sels. Quand cette mer occupait tout le nord de l’Afrique, conclut M. Escher, l’air ne s’échauffait pas à sa surface comme à celle des déserts de sable; la colonne d’air ascendant qui engendre le fœhn ne s’élevait pas au-dessus de cette mer refroidie par les eaux de la Méditerranée avec laquelle elle communiquait. Le fœhn n’existait pas, les Alpes restaient chargées de neige, les glaciers ne fondaient plus à leur extrémité, l’été était moins chaud, l’hiver plus froid, et rien ne contrariait plus l’ancienne extension des glaciers. Le défaut de cette hypothèse est d’être uniquement applicable aux Alpes, tout au plus aux Vosges, et nullement aux autres chaînes de montagnes. Il en est de même de celle que l’on a conçue pour se rendre compte de l’extension des glaciers en Angleterre, en Écosse et en Scandinavie. L’Europe occidentale doit son climat tempéré à un grand courant d’eau chaude, le gulf-stream, qui, sortant du golfe du Mexique et traversant l’Atlantique, vient baigner les côtes océaniennes de l’Europe, depuis le Portugal jusqu’au Spitzberg. Supprimez le courant, et le climat de l’Europe occidentale sera complètement changé. Or l’hydrographie, la géologie, la botanique, s’accordent pour nous apprendre que les Açores, Madère, les Canaries sont les restes d’un grand continent qui jadis unissait l’Europe à l’Amérique du Nord. Supposez ce continent exondé, le gulf-stream est arrêté, n’atteint