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ou blond. Ce monde invisible, supérieur à la réalité, qui est pour tous les autres hommes une hypothèse, est pour l’idéaliste une certitude ; il y croit sur l’assurance de son âme, ou, pour mieux dire, il y habite comme dans son enveloppe naturelle, car ce monde est inné en lui comme sa propre noblesse, et a été construit avec sa propre substance. L’idéaliste a ses racines dans un élément immatériel, et sa vie donne ses fleurs au sein d’une atmosphère subtile et puissante qui dissout la réalité de tous les faits et les vaporise en essences métaphysiques ; il n’aime les choses que pour les idées qu’elles représentent, en proportion de la grandeur et de la beauté des idées qu’elles représentent, et il s’est habitué à ne leur attribuer d’autre valeur que cette valeur idéale. Comprenez-vous alors à quel degré de vide moral un tel homme arrivera, si, le désenchantement s’emparant de lui, il s’aperçoit un jour qu’il a vécu d’illusions ? Il ne lui servirait de rien dans cette extrémité de se réfugier dans le monde réel, car sa nature l’exclut de ce monde ; il doit continuer, bon gré mal gré, par la force même de ce qui est le principe de sa vie, à vivre dans ce monde idéal qu’il sait désormais être une chimère. Je ne connais de comparable à cet état que celui du buveur d’opium. Comme le buveur d’opium, l’idéaliste désenchanté, toutes les fois qu’il se dispose à s’entretenir avec les idées, doit commencer par se dire tristement : Allons dormir, allons nous entourer de songes. Alors les idées perdent leur caractère sérieux et sacré, et deviennent des jouets d’enfant, de vains hochets, des amusettes ou des amulettes. Penser devient une manière de passer le temps que l’honnête homme adopte parce qu’elle est plus inoffensive que toute autre, et l’on écrit comme Alfred de Vigny : « La seule fin vraie à laquelle l’esprit arrive sur-le-champ en pénétrant tout au fond de chaque perspective, c’est le néant de tout ; gloire, amour, bonheur, rien de cela n’est complètement. Donc, pour écrire des pensées sur un sujet quelconque et dans quelque forme que ce soit, nous sommes forcés de commencer par nous mentir à nous-mêmes en nous figurant que quelque chose existe, et en créant un fantôme pour ensuite l’adorer ou le profaner, le grandir ou le détruire. Ainsi nous sommes des don Quichotte perpétuels et moins excusables que le héros de Cervantes, car nous savons que nos géans sont des moulins, et nous nous enivrons pour les voir géans… » Ou ceci, qui est d’un accent encore plus marqué : « L’ennui est la grande maladie de la vie ; on ne cesse de maudire sa brièveté, et toujours elle est trop longue, puisqu’on ne sait qu’en faire. Ce serait faire du bien aux hommes que de leur donner la manière de jouir des idées et de jouer avec elles, au lieu de jouer avec les actions, qui froissent toujours les autres et nuisent