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s’agit avant tout de propriétés assurées contre les perfidies de la mer. Qui était l’assureur et qui a perdu ? Telle est la grande question. Aussi faut-il voir de quelle main inquiète et crispée certains spéculateurs retournent après un orage les feuillets de ce livre sibyllin.

On se demande naturellement pourquoi Lloyd’s possède avant tout autre les nouvelles maritimes. Il faut savoir, pour l’explication du fait, que cette association a des agens dans toutes les parties du monde et dans tous les ports de l’Océan ou de la Méditerranée. Ces agens sont tantôt de riches négocians, tantôt des consuls, qui se trouvent à même par leur position de connaître tous les accidens arrivés sur toutes les eaux navigables, et qui télégraphient à l’instant même le résultat de leurs enquêtes. Lorsque je débarquai, il y a trois ans, dans ce groupe de rochers perdu au sein de la mer et qu’on appelle les îles Scilly, une seule circonstance me rappela Londres, c’est le nom de Lloyd’s inscrit en lettres de cuivre sur la porte d’une des moins pauvres maisons. J’aurais pu aller beaucoup plus loin, dans des îles encore bien autrement sauvages de l’ancien ou du Nouveau-Monde, et là, au bout de la terre, pourvu qu’il y eût une ville quelconque et un port, j’aurais trouvé un agent de la société anglaise. On comprendra maintenant la définition que donnait de Lloyd’s un marchand de la Cité : « C’est, disait-il, une araignée située au centre d’un réseau qui couvre les mers, et dont les vaisseaux naufragés sont les mouches mortes. »

L’établissement fournit en général aux journaux anglais les nouvelles qui concernent la navigation. De plus, il publie lui-même une feuille quotidienne bien connue sous le nom de Lloyd’s list. Cette gazette maritime est très ancienne, car on possède un numéro daté du 7 juin 1745, alors que Lloyd’s n’était encore qu’un café où s’assemblaient les marchands[1]. Pour quiconque est étranger aux affaires maritimes, Lloyd’s list présente naturellement peu d’intérêt ; c’est, comme l’indique le titre, une liste des navires arrivés dans chaque port de l’Océan ou de la Méditerranée ; mais il en est tout autrement pour ceux dont la fortune flotte à la merci des vagues. Quelques observations recueillies en mer par des témoins authentiques et rapportées en deux ou trois lignes avertissent souvent le spéculateur de se tenir sur ses gardes. Tel vaisseau, par exemple, annonce avoir rencontré des bancs de glace en vue du cap Horn. Ces fantômes blancs qui menacent sur mer les navires ne manqueront point à coup sûr de hanter l’esprit du

  1. Ce numéro est le 996e, et comme Lloyd’s list ne paraissait dans ce temps-là qu’une fois par semaine, il y a tout lieu de croire qu’il existait déjà depuis environ dix-huit années.