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Les assurances maritimes peuvent d’ailleurs se diviser en deux groupes. Les unes, régulières, méthodiques, fondées sur le calcul des probabilités, sont celles qui se pratiquent dans les cas ordinaires ; les autres au contraire, plus ou moins aléatoires, ont besoin, pour naître et se développer, du concours de certaines circonstances mystérieuses. Il arrive par exemple qu’un navire n’ait point atteint dans le temps voulu le port pour lequel il était destiné, d’autres vaisseaux ayant traversé les mêmes eaux que lui ne l’ont point aperçu en mer ; qu’est-il devenu ? Certes il y a lieu de concevoir des inquiétudes, et pourtant d’un autre côté rien ne prouve absolument qu’il ait fait naufrage. Il se peut que ce bâtiment dont le sort est inconnu ouvre libre carrière à de nouvelles transactions. Il y a presque toujours des hommes assez téméraires pour hasarder sur un tel vaisseau des sommes considérables en vue d’un gain plus grand encore, si ce navire aujourd’hui perdu vient jamais à se retrouver. Dans de pareilles conditions, l’assurance est une loterie ; on joue sur une ombre, sur le nom d’une chose qui est peut-être déjà la proie de l’abîme. Il y a quelques années, un bateau à vapeur donna particulièrement lieu à ce genre d’affaires douteuses : c’était le Président, autour duquel planait depuis plusieurs semaines un silence de mauvais augure. Jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’on eût perdu tout espoir, ce bâtiment flottait encore à pleines voiles chez Lloyd’s sur l’océan de la spéculation et des péripéties financières. Moyennant une prime très élevée, on assurait dans la salle des underwriters les risques de celui qui par malheur ne risquait plus rien. De pareils faits se renouvellent tous les jours, et de larges sommes d’argent vont s’engloutir dans ce jeu de la mer et du hasard.

Il ne faudrait pourtant point confondre le mal avec le bien, et juger de l’arbre tout entier par une branche véreuse. Le système des assurances maritimes rend au commerce et à la navigation des services reconnus de tout le monde. Quelle est la fortune individuelle capable de lutter contre les tempêtes? Si l’esprit d’aventure et d’entreprise commerciale eût été laissé à ses propres forces, il aurait sans doute abandonné depuis longtemps un champ semé de tant de ruines. Appuyé sur l’association des efforts et sur la division des risques, il peut au contraire braver le plus destructeur des élémens et disputer la victoire au hasard. Aussi tout vaisseau et toute cargaison confiée au sein de la mer sont-ils assurés d’avance, tantôt pour une petite somme, tantôt au contraire, selon la valeur du bâtiment et des marchandises, pour un prix extrêmement élevé. Ainsi que toutes les réunions de capitalistes, Lloyd’s a ses célébrités. Un des hommes qui dans ces derniers temps appelait le plus l’attention par la hardiesse et l’étendue de ses contrats en