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monde, et les noirs fils de la brûlante Afrique s’y rencontrent côte à côte avec ceux de la blonde Albion. Au moment où je visitai cette fraternelle demeure du marin, il n’y avait guère que trois cents hôtes ; le secrétaire me fit observer que le moment n’était point favorable, et que le vent d’est, soufflant depuis plus d’une semaine, avait empêché les vaisseaux en mer d’entrer dans l’embouchure de la Tamise. Comme tout ce qui tient à la navigation, la fortune du jour doit compter avec les caprices des élémens ; mais ces alternatives ne sauraient affecter les résultats généraux de l’année[1].

La salle à manger des marins est vaste et décorée de deux monumens, l’un érigé à la mémoire du capitaine Elliot, le fondateur, et l’autre en l’honneur du capitaine Pierce, qui fut pendant vingt-trois ans secrétaire de l’institution. Des tables recouvertes d’une nappe blanche et abondamment servies se succèdent de distance en distance. Je fus invité à m’asseoir et à juger par moi-même de la qualité des mets. Ce substantiel dîner est certainement égal à celui qu’on paierait 1 couronne (6 fr. 32 c.) dans certaines tavernes de Londres. Il est curieux de voir les quartiers de viande rôtie, les plats de pommes de terre et les massifs pâtés (pies) disparaître en un clin d’œil sous l’effort de ces robustes appétits aiguisés par une vie de travail et par la brise de mer. Un ou deux bons verres d’ale arrosent ce repas fortifiant et copieux. Comme c’était un vendredi, on avait ajouté un plat de poisson pour ménager les scrupules des matelots catholiques. Le service se fait par la main de garçons attachés à l’établissement, et dont plusieurs sont eux-mêmes d’anciens marins : on le reconnaît bien à leur exactitude et à leur propreté. Chaque pensionnaire (boarder) peut amener avec lui un ami à dîner, et il paie dans ce cas 1 shilling pour acquitter les frais de l’hospitalité.

Non contente de bien nourrir le matelot et de lui fournir quatre repas par jour, le déjeuner, le dîner, le thé et le souper, l’institution a voulu lui ménager un lit et un logement convenables. Le plus curieux dortoir que j’aie jamais vu est celui qui fut ouvert en 1865, et qui porte le nom de l’amiral sir Henri Hope, président du sailor’s home durant de longues années. On dirait l’intérieur d’un vaisseau à quatre ponts, ce que les Anglais appellent un four-decker. Les chambres à coucher sont en effet des cabines au nombre de cent six qui se succèdent les unes aux autres d’étage en étage,

  1. Dans l’année de 1865 à 1866, l’établissement avait hébergé 11,388 matelots de tous les pays. Le nombre total des pensionnaires depuis l’origine (1835) s’élevait au mois d’avril 1865 à 169,905, parmi lesquels 49,286 étaient en quelque sorte des habitués qui revenaient, après chaque voyage, toutes les fois qu’ils se trouvaient dans le port de Londres.