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des monstres appartenant au nouveau système, tels que le Warrior et le Minotaur, ne sont point nés dans les chantiers de l’état. Le gouvernement a trouvé plus d’avantage à traiter avec une des grandes usines à fer qui s’élèvent sur les bords de la Tamise, Thames iron company, et qui construisent aussi des vaisseaux du même métal pour la marine marchande, notamment pour l’Oriental and peninsular company (compagnie orientale et péninsulaire), la plus grande entreprise de ce genre qui existe dans le monde. Le navire de bois ou de fer, une fois lancé et gréé, a naturellement besoin d’hommes pour le conduire. Dans quelle classe de la population se recrute la marine anglaise ? Avant de répondre à cette question, il importe d’indiquer la grande différence qui existe entre la flotte de l’état et l’armée. Dans l’armée, les commissions s’achètent ; il n’en est plus du tout de même dans la marine, où l’avancement appartient à l’instruction, au mérite et à l’ancienneté. La ligne à peu près infranchissable qui sépare sur terre les sous-officiers des officiers s’efface entièrement dès qu’on touche à la hiérarchie maritime. Quelques-uns des amiraux anglais sont sortis de la cabine des mousses. Il y a bien des cadets de la marine qui subissent un examen au collège naval de Portsmouth ; mais, tout en jouissant de certains privilèges, ils ne forment point un corps exclusif. De grands noms se rencontrent sans doute çà et là sur ce que l’on appelle ici navy list (liste des officiers de marine) ; il est pourtant aisé de voir que c’est surtout la classe moyenne qui fournit des élèves aux écoles de navigation, et la classe inférieure qui alimente les enrôlemens volontaires. S’il en est ainsi de la marine de l’état, à plus forte raison doit-on s’attendre à trouver les mêmes conditions dans la marine marchande. Ne voudrait-on point aussi connaître les motifs qui engagent l’Anglais à se faire matelot ?

Beaucoup s’enrôlent sur un vaisseau, il faut bien le dire, parce qu’ils n’ont point d’autre métier, ni d’autre ressource. Tel n’est pourtant pas le cas général, et il existe vraiment des vocations maritimes. Parmi les enfans nés le long des côtes de la Grande-Bretagne, il en est sur lesquels le milieu extérieur exerce une sorte de fascination. Les voiles passant dans le ciel bleu, le mirage des contrées lointaines qu’ils entrevoient à travers la conversation des matelots, les sombres beautés de l’horizon et l’éternel mouvement des eaux, toutes ces images les troublent jusque dans le sommeil. « L’océan les appelle, disent les habitans du littoral, ainsi que la mare attire les jeunes canards. » C’est souvent en vain que la famille lutte contre cette inclination naturelle. J’ai connu dans le comté de Norfolk un jeune garçon de douze ans ainsi ensorcelé par la mer ; il s’échappa deux fois de la maison paternelle, où il fut