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marin ! Lorsque deux vaisseaux se rencontrent en mer, ils se parlent l’un à l’autre; mais est-ce avec la voix? Par les gros temps et à une certaine distance, il serait évidemment impossible de s’entendre; il a donc fallu recourir à un système de conversation par signes. Cette langue était encore assez confuse et assez imparfaite, lorsqu’une académie se forma, il y a quelques années, pour la régler dans la Grande-Bretagne. Un comité composé d’un certain nombre de membres nommés par le conseil de commerce (board of trade), par l’amirauté, Trinity house, Lloyd’s et d’autres grandes institutions maritimes, se mit à l’œuvre, et commença par examiner tous les systèmes de signaux nautiques. Le plus suivi en Angleterre était celui de Marryatt, en France celui de Reynold, tandis que la méthode de Rogers dominait dans les États-Unis. Le comité procéda par voie d’éclectisme, et formula de la sorte un code de signaux qui, sans être obligatoire, passe pour tout à fait national dans la Grande-Bretagne. L’intelligence de ces emblèmes constitue naturellement une des branches de l’art de la navigation. Quand un vaisseau anglais veut engager la conversation avec un autre, il hisse à une certaine hauteur des pavillons (flags) dont le nombre, la forme, la position et les couleurs varient selon la nature du message qu’il s’agit de transmettre. Pour éviter la confusion, il a été décidé qu’il n’y aurait jamais plus de quatre drapeaux arborés à la fois; mais, comme ces quatre enseignes ne sauraient exprimer toutes les idées, il faut souvent les remplacer par d’autres que l’on tient en réserve au pied du mât. Il y a donc en réalité dix-huit flags représentant les dix-huit consonnes de l’alphabet, car dans cette langue énigmatique on a supprimé les voyelles. Grâce à ce petit nombre de lettres ou d’emblèmes groupés selon des combinaisons ingénieuses, on a trouvé le moyen de signaler les noms de cinquante mille vaisseaux[1] et environ vingt mille mots ou phrases maritimes. Deux navires anglais qui se rencontrent aux extrémités du monde peuvent échanger de la sorte une bonne parole, et comme le code de signaux britanniques sera sans doute adopté avec le temps par les autres nations, la langue universelle, cette utopie, existera du moins sur les mers.

  1. Ce nombre a certes bien lieu d’étonner et demande une explication. D’après un recensement fait en 1855, l’ensemble des vaisseaux anglais répandus sur toutes les mers s’élevait au chiffre énorme de 35,000. Comme, d’un autre côté, 1,500 nouveaux bâtimens sortent en moyenne des chantiers de la Grande-Bretagne et viennent s’ajouter tous les ans à la flotte de l’état ou à la marine marchande, on a jugé nécessaire de trouver 50,000 emblèmes différens pour désigner les vaisseaux de toute nature alors existans et ceux qui devaient naître dans un assez bref délai au sein du royaume-uni. C’est, d’après ce calcul, 53,000 bâtimens qui, à la fin de 1867, devront naviguer sous le pavillon britannique.