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Un symptôme très fâcheux pour l’avenir de la marine britannique est la répugnance que témoignent aujourd’hui les matelots à s’enrôler dans le service de l’état. Il faut dire à l’honneur de la nature humaine que ce ne sont ni les dangers, ni les privations qui détournent les vocations maritimes. Dans un temps où le Tar était mal nourri, mal vêtu et durement traité, la flotte du royaume-uni n’a jamais manqué de bras. C’est qu’alors un rayon de gloire luisait sur les mers. Aujourd’hui les hommes sont mieux payés, tout un système de punitions brutales a été adouci ; certains soins hygiéniques ont singulièrement amélioré les conditions sanitaires d’un vaisseau de ligne, et pourtant l’état a beaucoup de peine à recruter des marins. Quelle peut être la cause de cette anomalie ? Il y a eu progrès sans doute dans le régime maritime, mais ces progrès sont encore restés très en arrière de l’opinion publique, des mœurs et des exigences de la classe ouvrière à notre époque. La marine marchande de son côté est-elle plus heureuse en ce qui regarde son personnel ? Non vraiment : un grand nombre d’étrangers servent à bord des vaisseaux de commerce anglais, et il devient chaque jour plus difficile d’attirer des hommes capables vers les travaux de la navigation. Il semblait jadis que la recherche des biens eût encore plus de mérite aux yeux des aventuriers que la possession ; tel n’est guère l’esprit de notre siècle, et l’on trouve aujourd’hui peu de courages disposés à quitter la proie pour l’ombre. Non-seulement les Anglais témoignent en général beaucoup moins d’inclination qu’autrefois à s’enrôler dans la marine, mais encore plusieurs d’entre eux, après avoir signé leur engagement et avoir vécu quelque temps à bord du navire, désertent le pavillon britannique. Ce n’est point la mer qu’ils fuient, car le plus souvent ils vont offrir leurs services à l’étranger. La flotte des États-Unis par exemple est en grande partie montée par des matelots anglais qui ont été chercher de l’autre côté de l’Atlantique de meilleurs traitemens et un abri contre certaines punitions dégradantes. Qu’arriverait-il pourtant dans le cas d’une guerre entre la Grande-Bretagne et les États-Unis ? Les marins anglais enrôlés sous le pavillon américain tourneraient-ils leurs armes contre la mère-patrie ? et, s’il en était ainsi, leur appliquerait-on le rigoureux code de guerre qui veut que les déserteurs pris sous le drapeau ennemi soient pendus ? Dans les deux cas, ce serait un grand embarras pour l’Angleterre et un outrage pour l’humanité. Puisse cette seule considération éloigner à jamais une lutte fratricide entre deux nations qui tiennent l’une à l’autre par les liens du sang et par tant d’intérêts sacrés!

Pour que la profession maritime ait ainsi tant perdu dans la Grande-Bretagne du prestige qu’elle exerçait au dernier siècle sur