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assez souvent dans le port de Londres des lascars (marins de la race hindoue), des Chinois, des Malais, des Africains. Il arrive continuellement qu’un capitaine ayant abordé dans des îles ou sur des continens lointains fasse appel aux naturels de la côte pour remplir les vides qu’ont laissés dans son vaisseau la désertion et la mort des matelots anglais. Tout va bien durant la traversée, et, tant que les besoins du service exigent l’emploi de ces forces auxiliaires, on s’inquiète assez peu de la couleur des mains qui hissent le pavillon britannique ; mais, une fois arrivés dans le port de Londres ou de Liverpool, comment ces naturels des contrées étrangères sont-ils traités ? Abandonnés sur le pavé de la grande ville par ces mêmes vaisseaux qui les ont amenés et à bord desquels ils ont servi, ils traînent souvent une existence voisine de la mendicité. Dans les docks, ces grands marchés du travail maritime, on leur préfère naturellement les matelots anglais, et plusieurs d’entre eux perdent ainsi toute chance de revoir jamais le sol natal. Ils s’éteignent alors dans quelque obscure allée de Wapping ou dans les hôpitaux, regrettant le soleil de leur pays et la mauvaise étoile qui les a conduits vers les brumes de la Tamise. Quelques capitaines de vaisseaux marchands assurent pourtant que les services de ces hommes ne sont point du tout à dédaigner. Sobres, habitués à la mer, il ne faudrait souvent qu’un peu de patience pour les former à la discipline et aux manœuvres savantes de la marine britannique. L’Angleterre laissera-t-elle donc échapper une si belle occasion de recruter ses forces navales ? Le monde entier lui est ouvert, et jusque dans l’extrême Orient, — l’expérience le démontre assez, — des bras s’offrent à elle pour les conquêtes pacifiques de la mer. Ne serait-ce point d’ailleurs un excellent moyen de répandre les lumières de la civilisation sur les représentans les plus hardis et les plus intelligens des différens groupes qui peuplent la surface du globe terrestre ? Et ce n’est point l’honneur seul du progrès qui conseille à la Grande-Bretagne cette politique, ce sont aussi les intérêts bien entendus de la navigation et du commerce, car l’océan, ce lien des races et des distances, se montre en même temps le chantier du travail où peuvent le mieux s’utiliser les élémens divers de la famille humaine.

Alphonse Esquiros.